La fin du XIXe siècle est marquée communément par ce qu'on a appelé une Révolution Industrielle. Celle-ci a, dans les consciences collectives, ses images : pays noirs, bâtiments immenses, hauts fourneaux, cités ouvrières et patronat hégémonique en sont les principaux poncifs. Cette industrie lourde a aussi ses lieux de concentration, on pense ainsi au pays noir de l'Angleterre, au bassin de la Ruhr ou aux régions du nord-est de la France. Ces années marquent aussi l'avènement de la grande industrie moderne et une organisation nouvelle : division du travail et rationalisation des tâches, mécanisation et chaînes de fabrication deviennent les nouveaux modes d'organisation du travail. Mais limiter l'industrialisation de la fin du XIXe à ces images, et plus particulièrement en France, donnerait du crédit à une vision d'un retard français qui s'est épanoui aux XIXe et XXe siècles. Le tissu industriel français a connu d'autres évolutions et d'autres modèles, celui de l'industrie à la campagne en est un ; et il est parfaitement illustré par l'exemple de la taillanderie de Nans - sous - Sainte - Anne. La ferme atelier de Nans est établie dans le Haut - Doubs en un pays de moyennes montagnes, de plateaux et de collines qui offre un réseau hydraulique conséquent ; cette omniprésence de la force hydraulique vient pallier la pauvreté minérale dont est affecté la Franche-Comté. Ainsi, même si cette pauvreté en énergie minérale semble être un handicap, la région n'en demeure pas moins marquée par une forte tradition métallurgique : à Nans on produit des outils taillants destinés à l'agriculture, raclette, sarclette, fauchon, pelle, pioche et plus spécifiquement des faux.
Le développement qui va suivre s'intéressera à la taillanderie dans ses aspects productifs et commerciaux entre 1880 et 1908. A Nans, l'année 1880 ouvre une nouvelle ère dans l'histoire de la taillanderie : après la mort de Louis – Joseph Philibert en 1867 et du frère aîné deux ans plus tard en 1869, les cinq frères restants reprennent l'exploitation sur de nouvelles bases. La taillanderie va connaître une insertion progressive dans la vie locale et va être animé par un nouvel esprit d'entreprise et des ambitions stimulées, notamment, par l'arrêt des fabriques de faux dans le Haut Doubs. Les activités de la taillanderie changent d'échelle.
On va s'attacher alors à comprendre en quoi la taillanderie de Nans sous Sainte Anne constitue elle un modèle de développement d'une industrie à la campagne dynamique et viable face au modèle commun d'une industrie lourde dont l'image a écrasé les visions de l'industrialisation à la fin du XIXe siècle.
Le système de production de la taillanderie doit d'abord être appréhendé dans son originalité et aussi dans les évolutions qu'il connaît à partir des années 1880. L'affirmation de la taillanderie se fait aussi par des voies commerciales innovantes, son rayonnement, notamment dans le domaine de la faux, ne fait aucun doute. Son étude fera l'objet d'une seconde partie.
[...] La ferme atelier de Nans, sous l'impulsion des frères Philibert, en plus de se maintenir, fut capable de conquêtes notamment par le biais de sa spécialisation dans les faux et par une politique commerciale innovante. Ces mêmes frères en assurant une rationalisation du travail et un réseau commercial sûr réussirent à faire passer la taillanderie du statut d'atelier artisanal à celui d'usine proto- industrielle. L'étude partielle qui précède s'est attachée à des aspects parfois empiriques du fonctionnement de la taillanderie, on a raisonné en termes d'étapes de production et de réseau commercial, et si on a toutefois souligné le rôle évident des cinq frères Philibert, il conviendrait de s'intéresser davantage au versant anthropologique et sociologique de la taillanderie. [...]
[...] L'opération se déroule sous l'un des quatre martinets de la salle des forges. Elle nécessite le concours d'un ouvrier hautement qualifié : l'étireur, sur lequel un manœuvre et deux frappeurs calent leur rythme. La force hydraulique à la base de l'opération voit sa puissance augmenter après les travaux de 1886 : la cadence et la productivité sont augmentées et la taillanderie produit ainsi 500 ébauches par jour. Le platinage est la seconde étape, et il bénéficie également de la modernisation des années 1886-1891. [...]
[...] L'écorché montre ainsi comment la force hydraulique est au cœur du système de production, on observe ainsi une multiplication de son utilisation voulue par les frères Philibert. Des travaux ayant vocation à intensifier cette utilisation sont menés. Ainsi, le triple passage de l'eau sous la taillanderie est aménagé dès 1886-87 ; mais c'est aussi la retenue d'eau qui est aménagée en 1886. Elle permet de réguler le débit, mais surtout d'augmenter la hauteur de la chute qui est directement corrélée à la puissance énergétique délivrée. [...]
[...] Le relevage, troisième passe, est effectué par les frappeurs, dont la mécanisation n'a pas modifié les gestes depuis 1885, sur l'enclume. La côte de l'ébauche est travaillée pour être mise d'équerre avec la lame. Le planage est fait à froid sous une tête de marteau solidaire du marteau d'étirage, ces deux étapes ne peuvent donc pas être réalisées en même temps, car elles nécessitent chacune une cadence de frappe différente. La cinquième étape, le passage à cisaille, est une étape artisanale et spécifiquement locale. Le taillant de l'ébauche est nettoyé de ses bavures et redressé sur toute sa longueur. [...]
[...] Mécanisation et originalité du système de production Entre 1880 et 1908, les travaux réalisés vont entraîner une réorganisation de l'atelier dont les pratiques vont peu à peu osciller entre tradition et modernité comme on a pu le voir auparavant. Pour autant s'agit-il pleinement d'une mécanisation du système de production ou plutôt d'une modernisation de celui-ci. La force hydraulique, fondement du processus de production, est un axe essentiel de l'effort de modernisation entrepris dès 1880, cependant d'autres travaux sont entrepris sur cette voie de modernisation. [...]
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