Ce texte est extrait des œuvres complètes de Benjamin Vicuña Mackenna (1831-1886), homme politique et intellectuel chilien de la deuxième partie du XIXe siècle, où figurent les statuts de la loge de Santiago du Chili, rédigés par O'Higgins, en 1817, au moment de sa fondation. C'est donc un texte officiel, énonçant le règlement de cette association, tout comme ses objectifs. Les statuts, c'est une sorte de contrat qui lie les membres d'une association, en général ils comportent les objectifs et l'objet de l'association, mais aussi les choix des dirigeants, l'organisation interne et les règles de la société.
Bernardo O'Higgins (1778 –1842) était un officier militaire chilien, fils d'un Ecossais et d'une Chilienne. A l'époque de notre texte, il s'apprête à diriger le pays sous le titre de Directeur Suprême (1817 et 1823). En 1823, il abdique de la présidence à cause de la pression et les contestations, afin d'éviter une guerre civile. A la suite de sa démission, il s'exile au Pérou, où il resta jusqu'à sa mort en 1842.
On est à un moment où les forces royalistes reconquièrent l'espace soulevé en Amérique hispanique, et les Provinces Unies du Rio de la Plata font figure d'exception dès 1816, en se proclamant indépendantes de la monarchie espagnole. Cette première indépendance accompagnée d'un fort libéralisme se diffuse et rayonne sur les provinces voisines. Le Rio de la Plata fait figure de modèle pour les libéraux implantés dans les autres zones d'Amérique. Au moment où est écrit le texte, San Martin avait été envoyé à Mendoza en tant que gouverneur du Cuyo, c'est là qu'il va préparer son armée des Andes avec l'aide d'O'Higgins et des exilés chiliens venus conforter ses troupes. C'est ainsi que son armée, menée par O'Higgins, est victorieuse à Chacabuco en 1817 face au gouverneur royaliste chilien Marco del Pont. Deux jours plus tard les troupes de San Martin entrent à Santiago où un cabildo élit le Libertador pour gouverner le pays. Seulement, San Martin décline l'offre et c'est finalement O'Higgins qui prendra le titre de Directeur Suprême le 16 février 1817. Enfin, en 1818 une constitution confirme l'Indépendance et les fondements libéraux en renforçant les libertés individuelles.
C'est dans ce contexte particulier que se fonde cette loge, à un moment où de nouvelles sociabilités, sociétés de pensée, politiques, patriotiques, maçonniques, accompagnent ou du moins préparent un premier enracinement de la sensibilité libérale des milieux au début limités puis qui s'élargissent de plus en plus au cours du XIXe siècle. Radicalement différentes des anciens ordres hiérarchisés, ces associations sont par excellence des « lieux d'apprentissage et de transmission de l'idéologie », selon F-X Guerra. Et ces lieux de sociabilité, tels que la loge lautarienne de Santiago se créaient grâce aux liens des créoles avec les foyers culturels d'Europe, ainsi que l'importance des centres culturels en Amérique hispanique pour la diffusion des idées nouvelles de liberté, démocratie, républicanisme et émancipation. On remarque notamment que les créoles qui se sont déplacés en Europe, tels que Miranda, Bolivar, San Martin, Belgrano ou encore Alvear, ont pris contact avec ces centres culturels d'Europe et de retour en Amérique ont apporté des idées nouvelles et des décisions qui ont accéléré le processus d'émancipation. On retrouve donc des sociétés secrètes politiques, telles que les Ventes des Carbonari, et patriotiques comme les Chevaliers Rationnels ou Loge Lautaro, comme c'est le cas ici. Le débat historique est aujourd'hui porté sur le caractère politique ou maçonnique à prêter à ces loges.
En fait, cette loge de Santiago est une filiale de la loge Lautaro de Buenos Aires, créée en 1812 par San Martin, qui avait des relations avec la Grande Réunion Américaine fondée par Miranda à Londres, et ses filiales, les Chevaliers Rationnels de Madrid et de Cadix. C'est ainsi qu'en tant que Grand maître, Miranda a initié à Londres ceux qui allaient devenir les personnalités de l'indépendance de l'Amérique hispanique (O'Higgins, Carrera, Rosas, San Martin, Monteagudo…).
Dans ce texte, O'Higgins nous explique tout d'abord pourquoi il est nécessaire d'établir une société structurée pour garantir et préserver les émancipations et le fondement libéral, puis nous décline les différentes règles de la société qu'il veut créer ainsi que ses objectifs.
On peut se demander en quoi les statuts de cette loge, à l'apparence maçonnique, font de cette société un nouvel acteur politique dans le processus d'indépendance de l'Amérique hispanique.
[...] Des lignes 1 à il fait donc une légende noire de la conquête espagnole et de la monarchie : l'Amérique gémissait sous la servitude la plus honteuse et la plus humiliante, dominée d'uns sceptre de fer par l'Espagne et ses rois Selon lui, ce joug de trois siècles c'est-à-dire depuis les premiers temps de la conquête, au 15e siècle, est constaté par toutes les Nations Il fait ici référence aux pays européens qu'il admire pour leur libéralisme, comme la France ou l'Angleterre. Il se pose ainsi derrière eux pour mieux appuyer son discours. Puis, il met en valeur les fondements libéraux tels que la justice et la raison (l. qui ont secoué ce joug de la monarchie espagnole. L'échec des Province Unies de la Plata Des lignes 6 à 10, O'Higgins prend l'exemple des Province Unies du Rio de la Plata, qui selon lui avaient commencé une belle entreprise d'émancipation, mais qui ont finalement échoué. [...]
[...] C'est aussi et surtout un moyen de ne pas y faire entrer de potentiels espions. Enfin, cette fermeture de la loge, se renforce dans la même logique par une autorité exacerbée, comme nous le montre le En effet, il est dit que le président sera perpétuel c'est-à-dire qu'il n'y a pas de changements de pouvoir au sein de la loge, encore moins d'élection, ce qui peut paraître assez étrange compte tenu de son aspiration libérale. Enfin, la hiérarchie des fonctions et pouvoirs est bien montrée, ce qui confère encore un pouvoir assez autoritaire à cette loge : en l'absence de celui-ci le plus ancien le remplacera : on retrouve une idée qui était courante sous l'ancien régime, que le plus ancien est le plus sage, car il a une plus grande expérience et sa personne lui confère le respect des autres (l.23). [...]
[...] Par conséquent, la loge recommandait aux frères d'être spécialement attentifs à l'opinion et de travailler pour l'acquérir comme on le voit aux et Le respect de l'opinion était en fait un moyen de s'assurer un soutien fort de la population derrière les décisions politiques prises de concert avec le gouvernement. Au terme de cette étude, nous pouvons conclure que malgré une apparence extérieure maçonnique, les loges lautariennes fondées en Europe et en Amérique par des créoles éclairés étaient de vraies sociétés politiques. Il s'agissait en effet de sociétés secrètes mais de caractère politique, avec un objectif clair qui n'avait rien à voir avec celui des maçons. [...]
[...] De même, le et montrent une organisation bien établie et hiérarchisée : la loge se compose de 13 hommes, d'un président et vice-président, de deux secrétaires, d'un maître de cérémonie et d'un orateur. Même si O'Higgins ne nous mentionne pas le nom du président, on peut supposer qu'il s'agit de lui. On retrouve ici bel et bien l'organisation des loges maçonniques. En effet, le président était le nom générique désignant le 1er officier d'un atelier maçonnique, l'orateur prononce essentiellement les discours mais n'existe que facultativement dans les loges anglaises et américaines. [...]
[...] Deux jours plus tard les troupes de San Martin entrent à Santiago où un cabildo élit le Libertador pour gouverner le pays. Seulement, San Martin décline l'offre et c'est finalement O'Higgins qui prendra le titre de Directeur Suprême le 16 février 1817. Enfin, en 1818 une constitution confirme l'Indépendance et les fondements libéraux en renforçant les libertés individuelles. C'est dans ce contexte particulier que se fonde cette loge, à un moment où de nouvelles sociabilités, sociétés de pensée, politiques, patriotiques, maçonniques, accompagnent ou du moins préparent un premier enracinement de la sensibilité libérale des milieux au début limités puis qui s'élargissent de plus en plus au cours du XIXe siècle. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture