Au regard de la fréquence et de la violence des manifestations d'agriculteurs, de la volonté affirmée de ne pas se soumettre aux lois de la République et aux règles du débat démocratique, de la disproportion de certaines réactions policières, les relations entre les ruraux et la République sont aujourd'hui conflictuelles. Pourtant leur évolution de la Restauration à la fin des années 1950 ne semblait pas les destiner à une pareille tension.
Comment donc les ruraux et la République ont-ils « fait connaissance », vécu cette période idyllique de la « République agraire » de Jules Ferry, pour finalement perdre cette relation privilégiée, et ouvrir la voie aux conflits actuels ?
De 1815 à 1860, la République, qui tente de s'installer définitivement au pouvoir en France, et les ruraux apprennent en premier lieu à se connaître.
De 1860 à 1914, elle gagne le cœur de ces derniers, qui trouvent enfin la paix et le soutien qu'ils cherchaient depuis longtemps dans la succession des régimes.
Mais de 1914 à 1958, la République se désolidarise de la cause du monde rural, et les ruraux qui se sentent abandonnés par le régime rentrent en conflit avec lui.
[...] Le souvenir du révolutionnaire défendant la République à Valmy s'est alors éteint, occulté par d'autres souvenirs plus sombres. C'est qu'il est en effet lié au roi et à sa décapitation, en janvier 1793, alors que les cahiers de doléances de 1789 n'exprimaient que la misère du peuple et proclamaient dans le même temps son attachement et sa confiance en Louis XVI : les griefs s'attachaient au système féodal et aux privilèges des seigneurs. Leur abolition définitive a certes été prononcée en juillet 1793, mais la date symbolique du 4 août 1789 est gravée plus profondément dans les esprits. [...]
[...] Mais le terrain a changé, Jules Ferry est le premier à le reconnaître, la France de 1875 n'est plus la même que celle de 1870, à plus forte raison que celle de 1848. De nouvelles pratiques se sont répandues, suffrages, débats, attitudes politiques D'anciennes se sont émancipées, révélées, transvaluées. La fin des notabilités et la victoire des propriétaires exploitants sur les grands propriétaires tout au long du siècle promeuvent lentement mais sûrement le développement de démocraties rurales dont nous avions vu une forme précédemment et noté sa vocation avant tout économique. Mais plongée dans les débats républicains locaux et nationaux, cette démocratie structurale conduit assez normalement à la démocratie politique. [...]
[...] Le mariage entre ruraux et République était-il finalement impossible du fait d'un tiers, auquel le paysan est lié plus qu'à toute autre chose, la Terre ? Entre autres pour ne citer que l'une des plus récentes : le 5 septembre 2004, des affrontements particulièrement violents entre militants anti-OGM et forces de l'ordre ont lieu dans le Gers à Solomiac lors d'une opération de fauchage de blés transgéniques ou l'une des plus célèbres : le 12 août 1999, à Millau, José Bové, porte parole de la Confédération Paysanne, accompagné de 300 personnes, démonte à visage découvert un restaurant MacDonald Nous reprendrons l'analyse politique et sociale sur les campagnes françaises de P. [...]
[...] Il existe des campagnes à hiérarchie acceptée comme dans le Bocage vendéen, difficilement pénétré par les idées de progrès du fait même de sa structure, qui constitue pendant encore longtemps un des derniers foyers de résistance du royalisme, cas extrême des contrées conservatrices, à l'image du Tableau politique de la France de l'Ouest d'André Siegfried ou au contraire contestées où l'exploitation des exploitants par de grands propriétaires est alourdie par des fermiers généraux ou par l'évolution économique vers la crise permanente : l'Allier et ses foules de métayers correspond au premier cas, le Sud-Ouest aquitain plutôt au second. La République progresse donc généralement dans le cœur et l'esprit des ruraux par un travail de campagne politique qui consiste à exploiter les différentes situations. Mais dans son ensemble le territoire de la République lui est acquis : elle a tout le loisir de l'organiser, de l'aménager et de le structurer afin de mieux le contrôler, de se lier à lui plus profondément. La mythologie républicaine prend alors son essor. [...]
[...] Il ne tient qu'à lui de les séduire. La soif de propriété est à l'époque le meilleur appât dont il pourrait disposer. L'erreur de la Restauration et des Ultras est alors de rentrer à ce sujet en conflit avec les paysans, en faisant la part belle d'autres ruraux, les grands propriétaires fonciers, bourgeois, comme anciens émigrés et hommes de la noblesse d'Empire. La question de la vaine pâture et des droits d'usage, qu'avait conservés la République, malgré son intransigeance libérale au sujet de la propriété, est elle aussi attaquée par le gouvernement Ultra avec le code forestier de 1829. [...]
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