« L'émotion et la fatigue détruisent le sens critique »
Cette formule, que l'on doit à Marc Bloch , illustre bien le « grand trouble moral » dans lequel sont plongés les soldats de la Première Guerre Mondiale. Le déracinement, la fatigue physique et mentale, l'anxiété, la peur de la mort, autant de facteurs qui affaiblissent l'esprit critique du soldat, et le mettent dans une position d'exécutant réduit à obéir aux ordres sans réfléchir davantage.
Le soldat est ainsi acteur isolé d'un événement à portée mondiale ; il en résulte une distorsion ou plutôt une disproportion entre l'information dont dispose le soldat et celle dont il devrait disposer pour mieux se repérer. C'est une des raisons pour laquelle cette soif le disposera à croire plus facilement le peu d'information qui lui parvient.
Frédéric Rousseau parle de la guerre comme d'une « quête de sens ». Comment expliquer de façon rationnelle l'enchaînement mécanique d'obus, de balles, de morts ? Le soldat perd tout repère et doit se construire un nouveau système de valeurs et de réflexes dans ce nouveau contexte. Si sa quête de sens peut demeurer vaine, elle le poussera cependant à rechercher l'information, et à y croire « faute de mieux ». Dans le climat d'incertitude caractéristique de la Grande Guerre, « la rumeur soutient les espoirs et suggère des issues magiques » - « elle compense le non-sens de la réalité », pour Paul Fussell.
[...] L'état-major va par ailleurs s'employer (en vain) à lutter contre les fausses nouvelles qui gagnent son camp : Contestez toutes les rumeurs et récits malveillants sur nos alliés, sur notre inefficacité ou nos fautes ; sur la puissance de l'ennemi ; sur les dissensions raciales ou les actes d'indiscipline. Gardez les potins pour vous, et dites à vos copains d'en faire autant. Le Général Patton dégonflait les rumeurs faisant état d'un ennemi tout- puissant, se basant sur Shakespeare : la rumeur, pareille à la voix de l'écho, double le nombre de ceux qu'on redoute dans Henry IV. Conclusions de Patton : le rapport d'un incident survenu après la tombée de la nuit ne doit jamais être pris trop au sérieux. Sa gravité est constamment surestimée. [...]
[...] C'est une rumeur qui a fonctionné par agrégation. Dans une première version, il fallait se munir d'un traitement de texte informatique, saisir les lettres (acronyme de New York), agrandir leur taille, et les transformer en utilisant la police de caractère Wingdings, une police de pictogrammes. Surprise, le pictogramme équivalant au en Wingdings est une tête de mort, et le est une étoile de David. Mort aux Juifs. Puis, au fil des versions, de nouvelles lettres viennent s'ajouter à ce noyau de départ. [...]
[...] Rumeurs internes La rumeur explicative Comme on a pu le voir, l'information fait défaut au soldat, qui est en quête continuelle de sens. Ainsi, plusieurs rumeurs s'attacheront à expliquer l'inexplicable. Durant 1943 se développe la paranoïa de l'espion allemand, omniprésent, parfois même déguisé en nonne. Après la riposte allemande à Salerne, on peut entendre ne nous étonnons pas d'avoir perdu la moitié de nos forces ! Il y a là une volonté d'expliquer toujours par des phénomènes humains des faits apparemment surnaturels. [...]
[...] La rumeur classique des renforts, qui sont censés arriver très prochainement (sans jamais de date précise), fait merveille. La tentation est trop forte. Citons ici l'infirmière Brantley, au Philippines, en 1942[3] : Ça faisait partie de la psychologie de survie. Si l'on avait su qu'on allait être prisonnière des Japs pendant trois ans et demi, on aurait cessé d'exister. On aurait abandonné immédiatement. La complaisance à croire de fausses bonnes nouvelles permet l'espoir, et donc la survie. Au contraire, refuser d'y croire, c'est déjà accepter la mort. [...]
[...] D'où la forte présence de rumeurs surnaturelles ou magiques, notamment de superstitions liées au port de médaillons et autres objets fétiches. Le casque de Julian Maclaren-Ross le sauve d'une balle : il la ramasse et la conserve précieusement. C'était sa balle et aucune autre ne l'atteindra[9] : on croit que deux obus ne tombent jamais au même endroit. Il existe d'autres croyances autour des nombres, de certains mots qu'il faut prononcer chaque jour comme un rituel. Fussell note qu'en comparaison de la Grande Guerre, la Seconde Guerre sera remarquablement laïque. [...]
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