Si on met de côté les années 1930, les paysans du premier XXème semblent vivre mieux que ceux de la fin du XIXème siècle (d'où leur réputation d'avoir été des « profiteurs » de la guerre), d'autant plus que les IIIème et IVème Républiques protègent les petits exploitants en garantissant les prix et en pratiquant le protectionnisme. Mais cette image de prospérité est en partie trompeuse, car les structures ont faiblement évolué.
Les années 1880-1940 (de Méline à Pétain) sont ainsi en réalité une période plutôt difficile pour les paysans, avec la relative prospérité et la relative modernisation des années 1920 comme intermède. La Grande Dépression, les deux guerres mondiales et la crise des années 1930 ont rendu nécessaire l'interventionnisme étatique dans la vie agricole.
Après 1945. Dans Le Cheval d'orgueil, Pierre Jakez Hélias parle d'une « accélération de l'Histoire » pour évoquer les mutations radicales que connaît le pays bigouden depuis 1945. Le constat d'Henri Mendras dans La Fin des paysans est encore plus radical : « En une génération, la France a vu disparaître une civilisation millénaire constitutive d'elle-même ». C'est le moment où on renonce à l'agrarisme (obéissant à des impératifs socio-politiques et non à la rationalité économique), discrédité par Vichy, et où on adopte une stratégie volontariste de modernisation des campagnes. Désormais, le gouvernement provisoire et le Parti Communiste Français (auréolé du rôle de Staline dans la victoire) glorifient l'ouvrier comme moteur principal de la reconstruction (≠ paysans vus comme le socle de la nation) et veulent ainsi aligner le monde rural sur le modèle productiviste industriel. La référence essentielle n'est plus la propriété (notion juridique, morale et sociale), mais l'exploitation (notion économique).
C'est donc la généralisation rapide des évolutions observables ici ou là après 1870 et pendant l'entre-deux-guerres. La nouvelle norme devient désormais : investir, s'endetter même, moderniser, viser le rendement maximum (d'où une augmentation très rapide de la productivité). On assiste au passage du paysan à ce que Ronald Hubscher nomme « l'entrepreneur de culture », qui résulte, écrit ce dernier, « de la rencontre d'une volonté gouvernementale, d'une vision technicienne de la croissance défendue par des experts influents (...) et d'une aspiration à de meilleures conditions de vie de la paysannerie ».
On assiste également à une accélération de l'exode rural qui montre la vanité du discours vichyste sur le retour à la terre (matérialisé par le « pécule » de 1941). L'émigration prend véritablement le caractère d'un exode, parce qu'elle massive et surtout parce qu'elle s'accompagne de la désertification de nombreux espaces ruraux et d'une déstructuration de la communauté villageoise traditionnelle cela aboutit certes à un risque de dévitalisation des campagnes, mais montre aussi leurs capacités d'adaptation (contre l'image figée véhiculée au XIXème siècle).
Des tensions voient le jour entre une partie du monde rural qui entend jouer à plein le jeu de la modernisation (cf. CNJA : Centre national des jeunes agriculteurs et FNSEA : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et une autre partie, plus âgée et moins instruite, qui se considère comme l'oubliée de la croissance (France poujadiste).
[...] Il s'agit d'une sorte de réalisation tardive de l'idéal physiocratique. L'équipement domestique En des communes rurales sont électrifiées, mais en 1960, seulement 1/4 à 1/3 des exploitants ont l'eau courante. Dans les années 1950-1960, on assiste à la vente des meubles traditionnels au brocanteur au profit d'une cuisine en formica et de meubles néo-rustiques pour le séjour (souci de fonctionnalité et de modernité). L'équipement électroménager reposant sur la triade réfrigérateur machine à laver télévision n'est guère répandu avant les années 1970. [...]
[...] Des tensions voient le jour entre une partie du monde rural qui entend jouer à plein le jeu de la modernisation (cf. CNJA : Centre national des jeunes agriculteurs et FNSEA : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et une autre partie, plus âgée et moins instruite, qui se considère comme l'oubliée de la croissance (France poujadiste). I L'impulsion étatique : une logique productiviste La prise de conscience du problème agricole au sortir de la Seconde Guerre mondiale Malgré le maintien du rationnement, la pénurie alimentaire et la flambée des prix agricoles dans les années 1940 (le quintal de blé passe de 576F en 1945 à 1900F en 1948) rendent la France trop dépendante des importations, ce qui fragilise la reconstruction économique toute entière (la carte de rationnement pour le pain n'est supprimée qu'en 1949). [...]
[...] Création du FASASA (Fonds d'action sociale pour l'aménagement des structures agricoles) pour faciliter l'abandon des terres par les agriculteurs âgés (retraite, indemnité viagère de départ). Création de collèges et de lycées agricoles dans chaque département. Création des GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun), qui unissent souvent père et fils et facilitent les problèmes de transmission (partage des frais d'exploitation). C'est une nouvelle forme de regroupement, quelque peu bureaucratique, mais pas forcément impersonnelle, qui se construit sur la décomposition des structures familiales, villageoises et communautaires traditionnelles. [...]
[...] Dès 1953, les crédits du Plan Marshall sont épuisés, et la surproduction entraîne une baisse des prix. On assiste alors à l'inauguration des barrages de route par des tracteurs (l'outil de la modernité devient symboliquement un instrument de revendication) lors de l'appel du Comité de Guéret (première véritable protestation à l'échelle nationale). En 1955, Pierre Poujade crée l'Union de Défense des paysans, qui trouve un écho dans les régions dépeuplées et prolétarisées. Ce mouvement opte pour l'action directe (il rappelle en cela le dorgérisme des années 1930) : destruction des symboles de l'Etat, produits déversés sur la voie publique ou devant les préfectures et sous-préfectures (manifestations modernes de la contestation paysanne). [...]
[...] La référence essentielle n'est plus la propriété (notion juridique, morale et sociale), mais l'exploitation (notion économique). C'est donc la généralisation rapide des évolutions observables ici ou là après 1870 et pendant l'entre-deux-guerres. La nouvelle norme devient désormais : investir, s'endetter même, moderniser, viser le rendement maximum (d'où une augmentation très rapide de la productivité). On assiste au passage du paysan à ce que Ronald Hubscher nomme l'entrepreneur de culture qui résulte, écrit ce dernier, de la rencontre d'une volonté gouvernementale, d'une vision technicienne de la croissance défendue par des experts influents ( ) et d'une aspiration à de meilleures conditions de vie de la paysannerie On assiste également à une accélération de l'exode rural qui montre la vanité du discours vichyste sur le retour à la terre (matérialisé par le pécule de 1941). [...]
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