« Classes laborieuses, classes dangereuses » : voici un crédo libéral fort répandu au XIXe siècle... Longtemps ignorée ou sciemment éludée, la prise de conscience de la question sociale (à savoir la menace de l'ordre politique et social que suscite la pauvreté de masse) progresse toutefois peu à peu, s'imposant comme l'un des enjeux majeurs de la société de l'époque, que nul ne peut plus évincer. Louis Philippe comme Louis Napoléon Bonaparte ont déjà été confrontés à ce délicat problème ; la IIIe République proclamée le 4 septembre 1870 à la suite de l'échec cinglant de Napoléon III face à la Russe, n'y échappe pas... Comment les Républicains (d'ailleurs divisés quant à leurs ambitions en matière sociale) vont-ils appréhender la question sociale, de juin 1871 - après les premiers mois douloureux de la République, marqués par l'occupation prussienne et le drame de la Commune) à mai 1902 (qui voit l'avènement du bloc des Gauches) ?
Si la IIIe République, éprise d'ordre, se révèle - du moins dans un premier temps - relativement frileuse au niveau des reformes sociales, elle réalise cependant progressivement la nécessité de se pencher sur la question sociale et de lui apporter une réponse acceptable. L'avènement de la République radicale, qui marque l'entrée dans le XXe siècle, cristallise les espoirs de la masse populaire (...)
[...] Le traitement de a question sociale par le gouvernement semble donc satisfaire la majorité. La prise en compte de la question sociale se poursuit, après toutes les reformes et lois diverses égrenées dans les années précédentes : abrogation du livret ouvrier en 1890, création des bourses du travail, liberté de la presse en 1881 ce qui permet à l'opposition de s'exprimer, éventuellement pour réclamer des reformes sociales et favoriser la prise de conscience des dangers de la paupérisation lois sur le travail des enfants et des femmes, autorisation, en 1884, des syndicats, la loi de 1898 sur les accidents du travail Aussi peut-ob dire que, d'une certaine manière, la loi de 1901 (qui accorde la liberté entière pour les associations à l'exception des associations religieuses, les congrégations) est susceptible de faciliter et d'améliorer la considération de la question sociale, ne serait-ce que parce qu'elle permet la constitution de véritables partis politiques, capables de représenter les diverses tendances politiques de l'opinion française. [...]
[...] Très vite, les républicains modérés (Gambetta lui-même s'est résolu à militer en faveur d'une république modérée, rassurant ainsi les campagnes et la bourgeoisie et favorisant le ralliement de la majorité de l'opinion pour la République) sont qualifiés d' opportunistes notamment de 1879 à 1885. Cette appellation est, de fait, très révélatrice. Les opportunistes que sont Ferry et Gambetta par exemple insistent sur la nécessité de reformes sociales (entre autres) ; mais celles-ci doivent être très progressives ; il convient donc de ne pas heurter les campagnes conservatrices et la bourgeoisie, les couches nouvelles afin de ne pas compromettre la survie du régime Ainsi, les opportunistes sont libéraux en matière économique et sociale. [...]
[...] Peut-être est-il judicieux, pour éclairer notre propos, de se remémorer le drame de la Commune (18 mars ( 28 mai 1871), au cours duquel le désir d'une république sociale a été violement écrasé par le gouvernement d'Adolphe Thiers, d'ailleurs monarchiste. Cependant, loin d'être ébranlée par cette sévère répression, la République en sort renforcée : en effet, Thiers a prouvé que la République pouvait être un régime d'ordre, qui n'a rien à voir avec les rouges Aussi a-t-il rassuré la bourgeoisie et les campagnes conservatrices. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de la victoire républicaine aux élections législatives de juin 1871 et la désignation de Thiers au poste de la présidence de la République en aout 1871. [...]
[...] Cependant, il convient élégamment de tenir compte du progressisme de certains républicains (dans les années 1892-1896 en particulier), qui se substitue à l'opportunisme. Si, fondamentalement, le progressisme ne diffère pas vraiment de l'opportunisme, celui-là semble prendre mieux en considération la question sociale et s'avère conscient de la nécessité d'un coup de barre à gauche, de reformes sociales prudentes et d'une plus grande intervention de l'Etat. Notons enfin que le Ralliement (cautionné par le pape Léon XIII) d'une partie des catholiques français à la République favorise l'émergence d'une droite républicaine ; l'encyclique Inter Sollicitudines (1892) constitue le fondement de la doctrine sociale de l'Eglise. [...]
[...] Il s'agit donc là d'un gouvernement modéré, avec des progressistes (convaincus de la nécessité d'un coup de barre à gauche). Millerand premier ministre socialiste, dont la nomination suscite par conséquent bien des espoirs mais aussi d'immenses peurs ! va ainsi s'efforcer de prendre des mesures sociales, propres à apaiser la question sociale : l'abaissement de la journée de travail va en ce sens (10h) ; cependant, les autres reformes proposées n'aboutissent gère : tel est le cas, par exemple, des projets d'impôt sur le revenu ou de retraite ouvrière D'où une certaine déception, même si cela ne nuit pas fondamentalement au gouvernement. [...]
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