Le désastre militaire de 1870 fut si terrible qu'il marqua profondément la mémoire collective des Français. Peintres et dessinateurs de l'époque n'ont pas échappé au traumatisme qui justifia, aux yeux de toute une génération, l'engagement de la Patrie dans une guerre de Revanche. L'écriture des « souvenirs » a entretenu la flamme patriotique, déréalisant souvent la guerre au point de rendre celle-ci acceptable par ceux qui auraient à y sacrifier leur vie. Mais quelle image en ont donné les artistes ? Le pinceau a-t-il produit les mêmes déformations que la plume ? A l'instar du texte qui ne trouve pas toujours les mots pour dire la réalité, l'image a-t-elle triché et déformé le réel ? Et, si elle l'a effectivement recomposé, dans quel sens l'a-t-elle fait ? Les peintres ont-ils participé à l'œuvre de déréalisation de la guerre et aidé ainsi au « consentement » de celle de 1914 ou furent-ils les hérauts impuissants d'une volonté opposée ? Décuplée par les armes nouvelles entrées en service (mitrailleuses, nouvelle génération d'obus), la violence d'une guerre dite « d'extermination » par ceux qui en furent les témoins, a-t-elle donné lieu à une représentation susceptible de servir les mouvements pacifistes de l'époque ? Et pourquoi ces images de la « boucherie » n'ont-elles pas été suffisantes pour dissuader les jeunes gens de 1914 ? Ces représentations étaient-elles d'une diffusion si limitée qu'elles ne pouvaient atteindre leurs cibles ou les artistes n'ont-ils pas su donner l'horreur à voir ? N'ont-ils « pas su » ou « pas voulu » ?
[...] Du fait de cette juxtaposition tranchée, toute la force de la charge se trouve concentrée sur le seul 1er plan dans lequel apparaît un autre contraste, celui des blancs utilisés pour la robe des chevaux et les noirs tachetés de rouge des uniformes. Agressifs, ces contrastes jouent à plein pour renforcer la fureur de l'action. Mais ce tableau est pratiquement une exception. Les peintres de 1870 ont peu utilisé leur palette pour matérialiser la violence elle-même. Ils se sont seulement concentrés sur l'utilisation de couleurs froides (ocres pâles pour Champigny, tonalités bleutées pour les dernières cartouches, Longboyau ou Montbéliard) ou métalliques, des tons qui, certes, font frissonner, mais n'effraient pas à proprement parler. [...]
[...] Or, précisément, la grande majorité des Français de l'époque ne fréquentait pas les Salons et autres expositions. Les œuvres ne pouvaient donc pas atteindre tous ceux qui seraient appelés à combattre si celles-ci n'allaient pas à eux. Soucieuse d'instruire le peuple de ses devoirs, la République se chargea de diffuser les images de la peinture militaire qui en disaient plus qu'un long discours : manuels scolaires, ouvrages d'histoire illustrée reproduction en images d'Épinal ou cartes postales, photographies populaires (auxquelles Larroumet fait allusion ci-dessus) se chargèrent de populariser les tableaux les plus évocateurs (le cimetière de Saint-Privat, les dernières cartouches, les cuirassiers de Mosbronn plus particulièrement). [...]
[...] Un procédé semblable apparaît dans Bazeilles. On y retrouve la construction en éventail (suivant les lignes de la tranchée, de l'ombre de la fumée, du rang des soldats, celle des blessés, celle de la crête) et partant d'un point situé à droite, dans le cercle solaire. Cette construction est brutalement rompue par la rangée des arbres, qui apparaît comme une ligne butoir à partir de laquelle tout va commencer ; l'intensité du choc à venir est ici suggérée ; mais l'impression en est fortement atténuée du fait que le choc, précisément, reste à venir ; lui-même n'est pas donné à voir. [...]
[...] Copernic, Paris 1979 ; page 32. Ibid., p.13. Ibid.; page 29. Le procédé est en partie utilisé dans le cas de Longboyau où certains hommes se confondent avec la masse de la batterie. Chers parents : une grande bataille ne peut se dépeindre ni se décrire écrivait Yves-Charles Quentel le 6 septembre 1870, après avoir été blessé à Rezonville. comment raconter les hauts faits de 3 à 400.000 combattants ? Comment peindre les tas de morts et de mourants Gwechall p.84. [...]
[...] Entre les deux générations, la manière est peut-être différente, mais l'intention n'était-elle pas la même ? Pourquoi, dès lors, les dissocier dans l'évaluation de leur influence ? L'influence de la peinture militaire sur le consentement à la guerre de la génération de 1914 ne saurait être totalement niée. Pour autant, il ne faut pas exagérer celle-ci. Quelques remarques s'imposent sur ce point. Si le génie des artistes était bien fait pour émouvoir le public, faut-il encore que ce dernier ait été mis au contact de leurs œuvres. [...]
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