Il est bien peu de mots qui portent en eux une charge affective aussi lourde que le terme de mémoire. Dans son entreprise visant à recueillir des témoignages d'enfants de déportés durant la Shoah, Catherine Vegh souligne que certaines personnes ont accepté de témoigner “ à cause du mot mémoire ”. Dans son “ mémoire de déportation ”, Jules Fanzaing, ancien interné juif du camp de Septfonds (camp d'internement entre 1939 et 1945, situé dans le Tarn-et-Garonne), conclut son ouvrage par ce même terme en majuscule. Il paraît important de mener une réflexion sur ce sujet.
[...] Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France. Ils y décrivent une mémoire polonaise célébrée en France dès la fin des années quarante, divisée en plusieurs catégories : les Polonais dans les combats de 1940 La résistance les Polonais dans les armées de Libération avant de consacrer un court article au souvenir global éprouvent le besoin de partir à la recherche de leurs propre constitution, de retrouver leurs origines C'est ainsi que de nouveaux groupes ou de nouvelles entités, qu'ils soient réels ou le fruit d'un nouveau système de représentations sociales, et dont les frontières sont plus ou moins aisées à définir, revendiquent depuis plusieurs années, et sur un mode inédit, une place dans l'espace public dont ils estiment, à tort ou à raison, avoir été écartés. [...]
[...] Un premier risque majeur tient à la moralisation du crime nazi. A force de réduire ce crime à une leçon de morale sur la tolérance et le respect d'autrui, le risque est de sombrer dans un consensus de mémoire, donc mener à une absence de réflexion sur les causes et conséquences de la tragédie sans pour autant s'interroger sur l'essence des autres crimes. Cette nouvelle forme de religiosité conduit à nier toute possibilité de comparer le Génocide à d'autres massacres de masse du siècle, et donc à lui retirer sa force d'exemplarité. [...]
[...] La tentative d'une définition scientifique de la mémoire, qui compléterait l'approche purement fonctionnelle donnée par la psychologie, se heurte à une omniprésence dans le débat public contemporain, laquelle a abouti à une polysémie fâcheuse. La mémoire a envahi le vocabulaire médiatique, culturel, dotée d'un pouvoir légitimant des discours spontanés et souvent opportunistes ; elle se prête aux usages métaphoriques et laisse la porte ouverte à de multiples dérives Mémoire au singulier, mémoires au pluriel. La difficulté vient de la persistance, voire l'acharnement, à vouloir raisonner en terme de mémoire au singulier, comme s'il existait une faculté commune à tous à garder le passé en vie. [...]
[...] Lectures de Primo Lévi, David Rousset et Robert Antelme in Esprit, mai 1995, p structuration et d'équilibre, lequel peut se révéler en inadéquation ou en contradiction avec la vérité historique. La mémoire s'inscrit dans le registre de l'identité, elle charrie de l'affect. Elle tend à reconstruire un passé idéal24 ou diabolisé. Elle peut compresser ou dilater le temps, et ignorer toute forme de chronologie, au moins rationnelle. Elle n'est pas une démarche de connaissance, mais elle relève de l'existentiel, voire de l'incontrôlable : peut-on maîtriser ses propres souvenirs et ses propres oublis, peut-on contrôler son inconscient ? [...]
[...] La confusion vient tout autant de l'offre que de la demande, des postures adoptées aujourd'hui par ceux qui prétendent parler du passé avec une certaine autorité que des attentes de ceux qui les lisent ou les écoutent note Henry Rousso43. La Shoah entre mémoire et excès. Il est ici indispensable de faire une place à la mémoire du Génocide, car c'est le plus souvent en référence à celui-ci que s'élaborent les discours sur la mémoire ; ainsi la notion de devoir de mémoire renvoie à celui-ci, expression forgée par Primo Lévi et ayant depuis accédé au rang de norme de référence. [...]
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