« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Cette phrase qui clôt le célèbre Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels de 1847 a eu, et a même aujourd'hui, une postérité assez inhabituelle, devenant, malgré ou peut-être grâce à ses ambiguïtés le mot d'ordre des mouvements socialistes et prolétaires de la deuxième moitié du XIX° siècle jusqu'à nos jours. Malgré ses ambiguïtés, car la signification réelle de cette phrase, au vu de la pensée de Marx, est bien plus complexe que ce que la compréhension immédiate veut nous le laisser croire ; il y a bien plus dans cette phrase qu'un simple appel à l'insurrection générale de tous les communistes, au mieux de tous les ouvriers, au-delà des cadres nationaux, en vue de faire la révolution à l'échelle internationale. Grâce à ses ambiguïtés, car des mouvements socialistes ou prolétaires aux théories et réalités très différentes ont pu se ranger derrière un tel mot d'ordre, en y mettant toutefois des significations parfois radicalement opposées. En effet, que doit-on, entre 1848 et 1914, comprendre par le terme de « prolétaires », défini par Marx lui-même comme la « classe des ouvriers modernes, qui ne vivent qu'en trouvant du travail, et qui n'en trouvent que si le travail accroît le capital » ? Une réalité sociale définie (les classes ouvrières, alors en essor mais encore peu implantées) ou un sentiment d'appartenance ? Où s'arrête la limite sociale du prolétariat, dans une Europe encore fortement rurale (aux simples ouvriers, ou également aux travailleurs agricoles) ? Quant à cette union des prolétaires de tous les pays, quelle forme doit-elle prendre, celle d'une fédération, d'une union supra- ou anti-nationale ? Comment véritablement la mettre en place, dans un monde où les disparités géographiques et sociales rendent improbables toutes unions entre les ouvriers américains, les serfs russes, les colonisés du monde entier … ?
Pourtant, malgré ces difficultés, c'est l'ensemble des mouvements et tendances aspirant à une transformation profonde des cadres sociaux (marxistes, socialistes, syndicats, prolétaires …) qui se positionnent par rapport à ce mot d'ordre, souvent pour, parfois contre, régulièrement avec des interprétations divergentes. Les marxistes tentent de s'imposer parmi les socialistes, puis de diffuser le mot d'ordre aux syndicats, et ce dans le but de rallier tous les prolétaires. Alors, dans quelle mesure cette phrase de Marx constitue-t-elle un véritable mot d'ordre, un ferment d'unité pour les mouvements aspirant à une transformation profonde des cadres sociaux entre 1848 et 1914 ? En réalité, ce mot d'ordre, et surtout l'interprétation simpliste qui en est faite, est discuté et contesté à tous les niveaux : le marxisme, en lui-même, rejette cette compréhension simpliste, par une réflexion internationaliste sans être antinationale ; les mouvements socialistes, plus largement, dans une période d'affirmation idéologique, contestent souvent fortement ce mot d'ordre, tandis que les mouvements prolétaires, si tant est qu'ils existent, sont également partagés à ce sujet.
[...] SUSSFELD, Essai sur l'internationalisme de Marx et Engels, Mémoire de l'IEP, Paris Ce mémoire, malgré ses imperfections, permet de compléter l'approche induite par le seul Manifeste par une comparaison avec d'autres textes de Marx et Engels. ( C. Weill, Les Internationales et la question nationale in JJ. Becker, G. Candar (dir.), Histoire des gauches en France L'héritage du XIX° siècle, Éditions La Découverte, Paris Au-delà de la simple dimension marxiste, cet article permet d'évaluer les actions et ambiguïtés des Internationales face à la question nationale, même en dehors de l'exemple français. [...]
[...] Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! Les prolétaires n'ont pas de patrie . Le Manifeste regorge d'appels à l'union internationale des prolétaires au-delà des limites nationales dans le but de renverser la domination bourgeoise sur les classes ouvrières. Néanmoins, cette pensée internationaliste n'est pas pour autant antinationale, dans la mesure où le travail des marxistes s'oriente, à la fin du vers une double action internationale (fédération), et infranationale (nationalisation des classes ouvrières). Les penseurs du marxisme considèrent l'internationalisme de deux points de vue : comme un état de fait, et comme un but à atteindre pour les marxistes. [...]
[...] Sur le socialisme ( M. WINOCK, Le socialisme en France et en Europe, siècle, Points Seuil, Paris Ouvrage qui permet bien de cerner les mouvements socialistes en Europe, en particulier la social-démocratie, tout en donnant d'importantes clés de lecture (travail intellectuel et historique à la fois). ( J. DROZ, Histoire générale du socialisme, Tome 2. 1848-1914, PUF, Paris Articles très détaillés sur tous les mouvements socialistes, mais aussi, plus généralement, les mouvements ouvriers en Europe et dans le monde, qui permettent d'approfondir des points précis spécifiques. [...]
[...] Quant à cette union des prolétaires de tous les pays, quelle forme doit-elle prendre, celle d'une fédération, d'une union supra- ou anti-nationale ? Comment véritablement la mettre en place, dans un monde où les disparités géographiques et sociales rendent improbables toutes unions entre les ouvriers américains, les serfs russes, les colonisés du monde entier ? Pourtant, malgré ces difficultés, c'est l'ensemble des mouvements et tendances aspirant à une transformation profonde des cadres sociaux (marxistes, socialistes, syndicats, prolétaires ) qui se positionnent par rapport à ce mot d'ordre, souvent pour, parfois contre, régulièrement avec des interprétations divergentes. [...]
[...] Les deux mois de juillet et août 1914 marquent véritablement l'échec du premier internationalisme marxiste, par le ralliement de la plupart des partis socialistes, des syndicats et des masses prolétaires à l'union sacrée et à la guerre. Un tel échec était à attendre, dans la mesure où les mouvements socialistes, syndicaux et prolétaires divisés dans la théorie comme dans la pratique, ne pouvait espérer réellement appliquer leur objectif. Néanmoins, au-delà de son inapplicabilité, cette phrase de Marx reste le ferment de l'unité socialiste, en donnant aux mouvements un idéal que les plus révolutionnaires (communistes) ont gardé pendant une grande partie du siècle. Bibliographie commentée Sur le marxisme ( K. MARX, F. [...]
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