« Nous entrerons dans l'histoire soit comme les plus grands hommes d'Etat de tous les temps, soit comme les plus grands criminels », telle avait été l'affirmation de Goebbels en 1943 ; dans les années soixante paradoxalement les crimes de la Shoah n'avaient pas une place primordiale dans les débats de société et de conscience, un silence de près de quinze ans avait suivi la Seconde Guerre mondiale, la révélation du génocide juif, par son ignominie était devenu un sujet tabou. Le procès Eichmann en 1961 marquait la fin de ce silence et l'amorce d'une nouvelle vision de cet événement et du peuple juif. Pendant la guerre, Eichmann est à la tête de la sous-section IV-B-4 (département des affaires juives) dans la Shutzstaffeln (S.S.). Bureaucrate et cadre moyen, il est responsable principalement de la déportation des Juifs, et prend ses ordres directement de Heydrich. A la fin de la guerre, il s'exile en Argentine sous un faux nom, échappant ainsi aux procès de Nuremberg. Repéré par les services secrets israéliens, il y est capturé le 11 mai 1960, et amené en Israël pour y comparaître devant une cour israélienne. Le procès s'échelonne du 11 avril 1960 au 29 mai 1962 : Eichmann est accusé de crimes contre le peuple juif, contre l'humanité, et d'engagement dans trois des quatre organisations que les tribunaux de Nuremberg classent comme « criminelles ». Hannah Arendt est chargée par New York Times de couvrir le procès. Elle écrit un livre où se mêlent compte rendu du procès, réflexions philosophiques sur la justice, sur la morale et sur l'humanité, réflexion psychologique sur les protagonistes du procès et analyse historique des faits. Ce travail est d'emblée polémique, notamment à travers son sous titre : Rapport sur la banalité du mal. Son œuvre avait, selon elle, pour but de savoir « dans quelle mesure le tribunal de Jérusalem a-t-il réussi à satisfaire les exigences de la Justice ? » , mais nous amène plus particulièrement à nous demander : en quoi le procès d'Adolf Eichmann révèle l'effondrement moral de la société lié à l'ignominie de la Shoah ?
[...] En janvier 1942 a lieu la conférence de Wannsee dont le but était de coordonner tous les efforts afin de mettre en œuvre la Solution finale ; Eichmann y assiste en tant que secrétaire de la réunion. En mars 1944, son service déménage à Budapest où déportées en deux mois vers Auschwitz. A l'automne 1944, Himmler donne l'ordre d'abandonner la Solution finale dans le dos d'Hitler ; Eichmann se met à saboter les ordres d'Himmler. La défense démontre qu'Eichmann n'aurait été que l'exécutant d'une loi criminelle. Est-il au fait que ces actes sont criminels ? [...]
[...] Ce n'est pas Eichmann qui prit la décision de la Solution finale Endlösung mais bien Hitler, ce n'est pas Eichmann qui fut l'instigateur des assassinats de masse, mais bien les chefs SS des Einsatzgruppen. Eichmann n'en reste pas moins un réel tueur administratif redoutable. Il est évident qu'Eichmann n'a jamais tué de ses propres mains un Juif, mais il y a contribué, de façon indirecte certes, de façon administrative certainement. Eichmann est un pur produit du régime nazi. Ce n'est pas un monstre mais comme le décrit Arendt un fantôme un être absolument normal, indescriptiblement minable et dégoûtant un fonctionnaire nazifié et endoctriné au point que son seul langage est celui de l'administration. [...]
[...] Pour ce faire, Hannah Arendt procède à un réexamen des fonctions d'Eichmann. Il avait deux talents : il savait organiser et négocier. A son entrée au parti, on l'affecta au service de l'information où son premier travail fut de mettre en fiche les informations concernant la franc- maçonnerie ; puis on lui fit lire Der Judentstaat de T. Herzl et L'histoire du sionisme d'A Böhm qui le convertit au sionisme. Il pensa alors à une solution politique et aux moyens de mettre un peu de terre ferme sous les pieds des Juifs On l'envoya à Vienne en 1938 pour organiser un mode d'émigration sans précédent : l'émigration forcée, en d'autres termes l'expulsion puisque tous les Juifs quelles que fussent leurs préférences et leur citoyenneté serait forcées d'émigrer ; en près de 18 mois, l'Autriche fut nettoyée de personnes. [...]
[...] Ceci à mettre en rapport avec le livre 1984 de George Orwell, où le régime de Big Brother met au point le Novlang qui à terme appauvrit le langage pour que les concepts mêmes de la morale, de la philosophie et de la liberté soient annihilés et informulables. Ainsi, Eichmann n'est ni un monstre, ni un clown ; les psychologues affirment sa normalité. Le policier Avner Less déclare ainsi lorsque Eichmann fut conduit devant moi, je fus déçu il n'y avait rien de diabolique dans sa personne. C'est un individu médiocre, qui n'a effectué que son devoir Certes, il a obéi aux ordres, dans en système où l'obéissance était la vertu mais il n'en est pas pour autant irresponsable. [...]
[...] La complicité au crime de masse s'est effectuée sans faille dans toute l'Europe. En premier lieu, on décida qu'il fallait rendre l'Allemagne Judenrein (vide de juifs) ; tout se passa très bien une fois les dispositions juridiques sur la privation de nationalité des Juifs (introduction de l'étoile jaune, une modification de la loi sur la nationalité, un décret selon lequel tous les biens appartenant aux juifs ayant perdu leur nationalité seraient confisqués par l'Etat). Cette zone fut déclarée judenrein le 30 juin 1943. [...]
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