Un après la mort de Lénine, Trotski décrit Staline comme "la plus éminente médiocrité du parti". Si Lénine le premier s'est méfié du pouvoir grandissant de Staline sur l'appareil dans les dernières années de sa vie, la plupart des bolcheviks le considèrent, en 1924, comme un homme fruste et sans envergure politique. Certains argumentent que ce mépris explique en grande partie son ascension initiale, ses adversaires se laissant surprendre par un homme plus ingénieux et tenace qu'ils ne l'imaginent.
Ce que va devenir l'URSS en dix ans est à peu près tout ce que Lénine avait pu craindre à sa mort : la prise de pouvoir par Staline n'est pas seulement l'ascension d'un homme, mais la dérive d'un système et l'enracinement d'un autre : le stalinisme. On peut considérer que ce processus de prise de pouvoir par la transformation d'un système se déroule en deux phases. La première correspond à la bataille de succession, de 1923 à 1929, à l'issue de laquelle Staline détient le pouvoir politique. La seconde correspondant à la conquête du pouvoir personnel par l'instauration du stalinisme, modèle qui s'impose réellement avec les premières grandes purges de 1933.
Staline n'est alors plus le premier bureaucrate de l'URSS, mais le dictateur omnipotent et solitaire, et les hommes sous ses ordres de collaborateurs consentants deviennent des exécutants apeurés. Dès lors, la "prise de pouvoir" par Staline ne peut se résumer à un acte dont la responsabilité incombe uniquement au génie stalinien. C'est bien au contraire un processus étendu dans le temps, qui présuppose un contexte particulier, des instruments spécifiques en la possession de Staline, et qui transforme lui-même le contexte politique, social, et économique de l'URSS.
Quelles sont les conditions qui ont permis en URSS la concentration de tous les pouvoirs dans les mains d'un seul homme, Staline, entre 1923 et 1934 et l'imposition d'un nouveau modèle politique garantissant ces pouvoirs, le stalinisme ?
[...] Surtout, des moyens de coercition importants, des normes unifiées et centralisées et l'extension de la bureaucratie sont nécessaires pour assurer le suivi et l'acceptation, même forcée, des contraintes imposées aux populations par le Plan. L'OGPU sera ainsi totalement impliqué dans la réalisation du Plan stalinien. Cette emprise de l'Etat sur le domaine économique se perçoit dans l'industrialisation comme la collectivisation. Les entreprises indépendantes qui subsistent sont remplacées par des entreprises d'Etat, placées sous l'autorité des directions centrales. Au terme du plan quinquennal, en 1933, les résultats sont spectaculaires : la production soviétique augmente durant ces années de 250%, alors que le monde occidental est en pleine crise, révélant la force du volontarisme stalinien. [...]
[...] Cité in MONGILI Alessandro, Staline et le stalinisme, ibid, page 71. Cité in MONGILI Alessandro, Staline et le stalinisme, ibid, page 85 LEWIN Moshe, La formation du système soviétique, Essais sur l'histoire sociale de la Russie dans l'entre-deux guerre, ibid page 380. Pour l'ensemble de ces chiffres, voir : CARRERE d'ENCAUSSE Hélène, Staline, l'ordre par la terreur, Paris : Flammarion page 60. [...]
[...] Une deuxième structure fondamentale du pouvoir stalinien et l'appareil répressif, qu'il parvint à mettre à son service durant la bataille de succession. La Tchéka (commission extraordinaire pour combattre la contre- révolution et le sabotage) a été créée par Staline pour lutter contre les ennemis de l'intérieur, mais elle est conçue comme le bras séculier du parti à son service et placée sous son autorité. Si l'appareil répressif use ouvertement de la terreur, arrête, abat ou envoie dans les camps les ennemis immédiats ou potentiels, sa capacité d'action demeure limite par le pouvoir politique lui-même. [...]
[...] La mort du fondateur en 1926 va permettre une utilisation plus directe de l'appareil répressif par Staline. Le nouveau président du GPU, Menjinski, qui le demeura jusqu'en 1929, devint en effet un allié plus complaisant pour Staline, appliquant aux factions non orthodoxes du parti des méthodes policières de violence et d'espionnage. La police est ainsi mise au service d'un groupe et plus encore de l'appareil durant ces conflits. Plusieurs exemples démontrent durant cette période l'utilisation partisane de l'appareil répressif. Ainsi, lors d'une des tentatives de protestation de l'opposition de gauche au plénum de juillet 1926, la GPU découvrit opportunément une conspiration faite de rendez-vous secrets dans les bois de Moscou, et arrêta les coupables, ce qui fit peser une menace supplémentaire sur l'opposition. [...]
[...] Une semblable bureaucratisation frappe l'appareil répressif durant cette période, comme en témoigne son changement de dénomination : la commission extraordinaire (Tcheka) a fait place à une Administration Politique d'Etat (GPU) en 1922, qui devient Administration Unifiée Politique d'Etat l'année suivante. L'appareil policier devint dès lors une administration semblable aux autres, rattaché au Conseil des Commissaires du Peuple de l'URSS. Dès 1904, Trotski avait prévu les dérives probables du système proposé par Lénine, dans Nos tâches politiques, sous une formule simple : l'organisation du parti un petit comité commence par se substituer à l'ensemble du parti ; puis le comité central se substitue à l'organisation et finalement un dictateur se substitue au comité central. [...]
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