En janvier 1918, alors que la première guerre mondiale n'est pas terminée, le président américain Wilson, dans sa célèbre déclaration intitulée “the world must be made safe for democracy” évoque parmi les quatorze points de son discours deux mesures qui bouleverseront la donne géopolitique dans les Balkans: l'autonomie des peuples d'Autriche-Hongrie et l'autonomie des peuples non-turcs de l'empire ottoman. Ces deux décisions participent au processus déjà initié lors des guerres balkaniques de véritable mise à mort des derniers empires multi-ethniques. L'effacement définitif de ces anciennes puissances après la victoire des forces de l'Entente consacre alors la victoire décisive des Nations sur les Empires en Europe. Les Balkans, ‘poudrière des peuples' ayant mis le feu au continent, se cherchent dès lors une organisation, un cadre étatique qui puisse accomplir les revendications identitaires de ses peuples. Les Slaves de la Monarchie austro-hongroise s'interrogent : trialisme avec les Habsbourg ou regroupement des peuples yougoslaves autour du “Piémont” serbe?
La défaite des Habsbourg, la crainte des appétits de l'Italie vont pousser les élites croates et slovènes à réaliser l'union de leurs royaumes avec celui des Serbes (rassemblant déjà la Macédoine et le Monténégro), ces derniers pouvant dès lors se servir de cette union pour subrepticement accomplir leur rêve de grande Serbie.
La question qui se pose lorsque l'on étudie la constitution et l'évolution de cette entité réunissant des peuples slaves du sud peut être formulée ainsi : pourquoi peut-on dire que dès sa formation, l'Etat Yougoslave porte en lui les germes de son implosion?
Afin de répondre à cette question, nous analyserons dans une première partie la situation du jeune royaume au sortir de la première guerre mondiale et les difficultés politiques rencontrées afin de définir la forme du régime. Dans une seconde partie nous nous focaliserons sur une période clé de l'histoire de la “première Yougoslavie” à savoir le passage de la monarchie parlementaire à la dictature monarchique, passage symptomatique révélant au grand jour la “pathologie politique” intrinsèque à cet État ‘composite'.
[...] En bref, chacun voit dans le projet yougoslave ce qu'il a envie d'y voir. Cette multiplicité de vues n'est pas sans donner un caractère artificiel à la réalité même de ce nouvel Etat. Alors qu'en Europe les Républiques et Etat-Nations célèbrent leur victoire sur les Empires et vieilles monarchies, quelques petits Royaumes disparates se constituent en fédération multi-ethnique. Les équivoques et contradictions pesant sur la naissance du Royaume ne tarderont pas à éclater au grand jour. Le malentendu serbo-croate et la paralysie structurelle de l'Etat Il faut bien prendre en compte le fait que les deux côtés de l'ancienne frontière ont, de par leur vécu particulier des visions très différentes de l'Etat. [...]
[...] Le régime parlementaire laisse place à une dictature répressive. Le Roi accroît la répression du communisme et du terrorisme, suspend la liberté de presse, dissout les assemblées locales, et soumet l'organisation judiciaire à son contrôle. La nouvelle constitution entre en vigueur en 1931 et traduit le durcissement du régime. Si elle prévoit le respect des libertés dans le cadre des lois ces lois restent celles de la dictature. On passe officiellement d'une monarchie parlementaire à une dictature monarchique, qui va prendre la forme d'une autocratie centralisée. [...]
[...] D'ailleurs cette union interétatique avait brièvement vu le jour suite à la retraite militaire de l'Empire d'Autriche-Hongrie sous le nom du Royaume des Croates, Slovènes et Serbes. La deuxième vision est de nature centraliste et est défendue par les Serbes. Ces derniers voient dans la constitution du royaume un moyen d'augmenter la puissance de la Serbie, même si ce but est inavoué il est pourtant défendu dans les milieux nationalistes serbes. Ce conflit d'intérêt premier mènera à l'impossibilité de voter à la chambre la Constitution du pays qui doit préciser la nature du régime. [...]
[...] Dans ce souci d'union nationale, le Royaume prend officiellement le nom de Yougoslavie. Symboliquement, le Roi va plus loin, en remplaçant le drapeau serbe de l'armée par le drapeau yougoslave. Le nouveau Royaume est divisé en neuf banovines De fait, le roi viole ici l'article 204 du Traité de Saint Germain en Laye de septembre 1919 qui prévoit le maintien de l'unité de la Bosnie Herzégovine. Mais le roi se donne les moyens de parvenir à ses fins. Le jour de la dissolution du Parlement, il déclare : Mon devoir sacré est de préserver l'unité de la nation et de l'Etat par tous les moyens qui sont en mon pouvoir On voit déjà ici une fracture latente entre la fin et les moyens sans condition affichés par le roi et les aspirations fédéralistes revendiquées notamment par les croates. [...]
[...] Dès lors la question n'est peut-être pas de savoir pourquoi l'Etat yougoslave s'est-il finalement disloqué en 1992, mais plutôt comment a-t-il fait pour rester uni jusqu'à cette date. Car il est clair à l'étude de sa formation que la Yougoslavie n'était, ni par ses frontières ni par ses institutions, la meilleure réponse à la “question nationale”. Dans ce cas, comment le pays est-il resté uni jusqu'à 1941 ? En quelque sorte nous pouvons dire que la viabilité des régimes structurant l'espace yougoslave était étroitement liée à leur capacité à résoudre le problème des rapports entre les diverses ethnies. [...]
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