Par confrontation entre le modèle épistémologique proposé par Paul Veyne et le cadre théorique d'une histoire socio-historique comparative mis en application dans les travaux de Barrington Moore, on peut dès lors dégager un espace des possibles quant à la façon d'envisager les processus historiques. Entre l'histoire comme produit du hasard et des contingences, faite d'éléments non nécessaires envisagée par Paul Veyne et l'histoire comme explication à prétention scientifique et nomologique proposée par Barrington Moore, nous voyons se déployer un champ d'ouverture qui situerait l'histoire entre un extrême idiographique et nomographique. Cette assertion doit bien sur être envisagée avec prudence dans la mesure où chacun des auteurs apportent des nuances à leurs théories et ne se situent ni l'un ni l'autre aux deux extrêmes de ce champ des possibles. Dans quelle mesure donc pouvons-nous apprécier la contribution de ces auteurs dans le degré d'intelligibilité qu'ils offrent à une recherche sur les processus historique ? Quelles ruptures opèrent-ils, mais aussi quelles sont les limites et les critiques auxquelles leurs ouvrages peuvent être soumis ? Il semble évident aujourd'hui que l'approche d'un Barrington Moore ne puisse entièrement échapper à certains écueils propres aux analyses structuro-fonctionnalistes et que la définition de l'histoire proposée par Paul Veyne, bien qu'extrêmement prudente, voire frileuse, quant aux prétentions scientifique de la discipline historique, soit néanmoins plus proche de ce que pourrait être une approche raisonnable de l'histoire. Nous nous attacherons ainsi dans un premier temps à souligner les vertus heuristiques de l'analyse socio-historique comparative en resituant son émergence dans un contexte historique et social particulier et en résumant brièvement l'analyse que fait Barrington Moore des conditions de l'émergence du fascisme au Japon, pour ensuite dans un second temps en souligner les limites à la lumière de l'ouvrage de Paul Veyne.
[...] De même qu'une typification ne peut que raccourcir l'explication qui a servi sa construction. A cet égard l'œuvre historique de Weber apparaît à Paul Veyne comme tout à fait exemplaire. Par le biais de la comparaison et de l'idéal type, Weber évite les pièges de la continuité (considérer l'histoire comme l'instrument d'un ordre dominant), de l'attachement au passé et de l'optique évènementielle (qui ne s'intéresse qu'au fait historique majeur Mais ces outils ne doivent être au final que des concepts réduits au niveau le plus bas de généralités, dans un seul but heuristique. [...]
[...] L'histoire selon lui fait partie des disciplines sublunaires selon les termes aristotéliciens. Comme toutes les sciences humaines son objet s'inscrit dans le domaine du changement du devenir, de la contingence et du hasard. Ces contingences sont liées à la liberté de l'homme qui s'affranchit par là même de tout déterminisme ; L'histoire se donne ainsi pour but et comme seule condition d'être un récit d'évènements vrais. L'historien n'explique donc pas au sens scientifique, mais offre une compréhension, il articule ainsi les évènements et tente d'y injecter du sens. [...]
[...] Paul Veyne à la manière de René Rémond prône un détachement des pratiques historiques classiques, particulièrement en matière d'histoire politique, longtemps asservie au récit linéaire de l'école méthodique. En privilégiant le particulier et le national, l'histoire politique s'est longtemps privée des possibilités de comparaison dans l'espace comme dans le temps, des généralisations et des synthèses qui seules peuvent donner à la démarche de l'historien un semblant de scientificité. Bien que Paul Veyne ne fasse explicitement l'apologie de la socio-histoire, il regrette l'auto-restriction de la discipline historique et plaide pour une histoire nécessairement élargie en matière traitement politique la liant par ailleurs définitivement à l'approche comparatiste. [...]
[...] D'autre part, Barrington Moore tente de dégager les causes de l'absence de révolution paysanne. L'accroissement continu de la productivité agricole, et donc l'absence de famines dans les villes, l'absence également de puissants sentiments anti-féodaux chez la bourgeoisie qui aurait pu servir de support aux revendications paysannes, l'arrivée de marchés permettant aux paysans de devenir propriétaires (bien qu'ils fussent le plus souvent fermiers) l'accès à la maîtrise d'un terrain souvent plus vaste qu'avant, tout cela permettait de stabiliser les choses et furent les causes significatives de l'absence de révolution paysanne. [...]
[...] Nous reviendrons plus en détail sur cette conception de l'histoire proposée par Paul Veyne. Barrington Moore est un sociologue politique américain, né le 12 mai 1913 et décédé en octobre 2005. Connu essentiellement pour son ouvrage majeur les origines sociales de la dictature et de la démocratie : Lords et paysans dans le façonnement du monde moderne paru en 1968, Moore diplômé de l'université de Yale enseigna par la suite à Harvard où il eut notamment comme étudiants Theda Skocpol, et Charles Tilly. [...]
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