Retracer les principales étapes de la genèse du “mouvement ouvrier” au XIXe siècle, en dirigeant notre réflexion sur le travail de regroupement dans la construction du groupe tel est l'objectif de travail. L'attention portée « sur la construction de la classe comme catégorie structurante et motivante permet de mieux comprendre le caractère partiel et indéterminé de la formation de la classe et les processus d'exclusion qui furent à la base du développement de ses solidarités ». Ce « marquage des frontières » manifeste le processus de « constitution de soi », et apparaît dès lors que l'on essaye de définir le groupe. Or il existe des définitions concurrentes de la classe ouvrière. Néanmoins l'enjeu de la recherche n'est pas de « trancher entre ceux qui affirment et ceux qui nient l'existence » de cette classe, mais de « déterminer, à travers une analyse des rapports de forces et des mécanismes de sa transformation » son degré d'inscription dans la société et ainsi rendre compte des luttes pour l'imposition d'une définition légitime du groupe.
Afin d'échapper à une posture qui tendrait à naturaliser le groupe ouvrier – en le faisant exister sur le mode du « cela va de soi » – il nous faut, au contraire, adopter une démarche qui envisage le groupe ouvrier à la fois comme le produit objectivé de pratiques et de représentations qui permettent un principe d'identité sociale auquel les individus accordent leur croyance. S'il « est parvenu à assurer sa cohésion, à imposer la croyance dans son existence et à s'objectiver dans des institutions », cela tient en premier au travail historique de construction sociale qui a progressivement unifié, autour d'intérêts communs et d'institutions, un « monde ouvrier aux multiples visages ». Une telle attitude suppose de rompre avec une certaine tradition – marxiste notamment – qui réduit la classe ouvrière à l'expression mécanique des contradictions économiques du capitalisme. Son existence ne résulte pas d'une évolution économique, mais comme nous venons de le dire d'une construction sociale.
Nous nous plaçons délibérément dans le sillage de travaux qui analysent les groupes sociaux selon une problématique constructiviste. Dans une étude pionnière sur la formation de la classe ouvrière anglaise, Edward Thompson entend rompre avec un certain nombre de présupposés propres à l'historiographie marxiste. Il indique que l'objet de sa recherche est « un processus actif, mis en œuvre par des agents tout autant que par des conditions ». Le choix du titre – making – rend bien compte de ce phénomène dynamique. Il montre que la classe apparaît comme un mouvement d'unification d'évènements disparates, au croisement d'éléments objectifs et de représentations subjectives. Si « l'expérience de classe » est largement déterminée par les rapports de production, la « conscience de classe » procède de la manière dont ces expériences s'inscrivent dans un système de valeurs, défini relationnellement. Ainsi décrit, « ce phénomène, ce processus d'auto-découverte et d'auto-définition » aboutit à ce que le groupe existe non plus comme une multitude d'individus mais comme un agent social.
[...] Cependant comme le note J. Lagroye, c'est moins aux interprétations [ ] qu'en donnent les agents concernés et les commentateurs que les mobilisations doivent leur caractère durable comme action “politique”, qu'à leurs effets sur la politisation des agents et des problèmes[26] Cette période est de ce point de vue un moment privilégié de la politisation des ouvriers qui tente de constituer en une classe distincte, un ensemble flou et cherche à imposer un nouveau principe de division de la société. [...]
[...] L'inscription des travailleurs dans un rapport salarial moderne[44] ne s'est pleinement accomplie que lorsque le salariat devint la condition normale du plus grand nombre, lorsqu'il acquiert le statut de norme sociale. Ainsi les premiers droits sociaux, adoptés à la fin du siècle, sont subordonnés à la régularité et la continuité dans le salariat. Bibliographie Boltanski Les cadres. La formation d'un groupe social, Paris, Minuit 523p. Bourdieu (Pierre), Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, “Points Essais” 423p. Charle (Christophe), Histoire sociale de la France au XIXe siècle, Paris, Seuil 398p. [...]
[...] Il montre que la classe apparaît comme un mouvement d'unification d'évènements disparates, au croisement d'éléments objectifs et de représentations subjectives. Si l'expérience de classe est largement déterminée par les rapports de production, la conscience de classe procède de la manière dont ces expériences s'inscrivent dans un système de valeurs, défini relationnellement. Ainsi décrit, ce phénomène, ce processus d'auto-découverte et d'autodéfinition[7] aboutit à ce que le groupe existe non plus comme une multitude d'individus mais comme un agent social. L'installation de la classe ouvrière comme acteur politique Le monde ouvrier de la première moitié du XIXe siècle est morcelé, et l'idée de la “classe ouvrière”, fédérée autour d'objectifs communs, ne s'est réellement imposée que dans la deuxième moitié du siècle. [...]
[...] Doucet pp. 148-158. L. Boltanski, Ibid., p M. Verret, L'ouvrier français : le travail ouvrier, Paris, A. Colin pp. 13-14. Cf. A. [...]
[...] W. Sewell, La confraternité des prolétaires : conscience de classe sous la monarchie de juillet art. cit., pp. 654-655. W. Sewell, Gens de métier et Révolution. Le langage du travail de l'Ancien Régime à 1848, Paris, Aubier Montaigne p P. Bourdieu, Décrire et prescrire in Langage et pouvoir symbolique, op. cit., p M. [...]
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