Le concept d'opinion publique n'est, dans le meilleur des cas, pas facile à cerner. Dans le cadre de la construction européenne, il peut devenir vraiment problématique. Ceci étant, il est impossible de passer sous silence cet aspect de la construction européenne. Deux images contradictoires s'imposent en effet. D'une part, celle d'une construction européenne considérée comme une aspiration profonde des peuples du continent et constituant le moyen d'assurer la paix et la prospérité. D'autre part, celle d'une construction européenne conforme à la volonté et aux intérêts des élites, en particulier franco-allemandes. Une étude approfondie des sondages permet-elle de privilégier l'une ou l'autre de ces images ?
I) Les années 1950 et 1960, l'acceptation initiale de l'Europe.
A) Les premières enquêtes (1947-1950).
La première enquête internationale sur l'Europe date de 1947. Plusieurs caractéristiques de l'opinion publique européenne face à l'unification de l'Europe peuvent déjà être dégagées : l'attitude est largement favorable en France et aux Pays-Bas, mais plus hésitante en Norvège ou en Suède. Des doutes s'expriment assez largement sur les possibilités de réalisation d'une Union européenne. Les opinions sont par ailleurs très diverses sur ce que doit être l'Union européenne (contours géographiques, contenu institutionnel). Cette enquête n'a pas été réalisée au Royaume-Uni, mais des travaux préliminaires avaient montré que les Britanniques n'avaient qu'une très vague idée de ce que pouvait être une Europe unie et se déclaraient incapables de se prononcer pour ou contre. Un autre sondage international est réalisé en 1948 à l'initiative du magazine américain Time. L'enquête est réalisée dans six pays, en particulier au Royaume-Uni, en France, en Italie et dans la zone américaine d'Allemagne. Entre cinq et six personnes sur dix disent avoir lu ou entendu quelque chose sur des projets d'union entre les pays d'Europe occidentale. La majorité de ceux qui ont lu ou entendu quelque chose se prononcent favorablement sur l'idée d'une union des pays de l'Europe occidentale. D'autres questions sont posées sur les aspects d'une éventuelle union européenne. Les deux aspects les plus largement acceptés sont l'abolition des droits de douanes et la libre circulation des personnes. L'armée européenne vient au dernier rang.
Le mouvement européen fait réaliser dans douze pays en mars-avril 1950 un sondage qui vient préciser les caractéristiques de l'opinion européenne : majorité d'opinion favorable parmi les personnes qui se prononcent, peu d'hostilité et une forte proportion d'indécis. Les plus favorables à la construction de l'Europe sont alors les Autrichiens et les Luxembourgeois, suivis par les Néerlandais, les Belges et les Français. Les moins favorables sont les Danois et les Norvégiens (...)
[...] La situation de l'Italie est comparable. Dans le cas allemand, la réunification fait cependant apparaître une fracture territoriale entre l'ouest et l'est moins europhile. Les relations sont donc complexes entre identité nationale et identité européenne. Un sondage de 1996 montre la grande variété des réactions. Lorsque l'on pose aux Européens la question de savoir s'ils se sentent d'abord citoyens de leur Etat ou européens seulement des Finlandais se déclarent d'abord européens, mais 30% des Italiens. Quant aux Britanniques, ils sont 14% se déclarer d'abord européens, ce qui est exactement la moyenne européenne (ceci montrant d'ailleurs une fois de plus que le rapport des Britanniques à l'Europe est assez complexe). [...]
[...] L'exemple de la CED est comparable. En Français sur 5 en ont entendu parler, mais 52% des personnes interrogées ne savent pas si la CED a été votée ou non. Là aussi, les Français sont cependant mieux renseignés que les Allemands, les Britanniques ou les Italiens. Au lendemain de la signature du traité de Rome, l'information dont dispose les Français est à peu près comparable à celle des Italiens et des Allemands : plus de 60% d'entre eux ont lu ou entendu quelque chose au sujet du Marché commun. [...]
[...] La chute des opinions positives est rapide : en des Français interrogés estiment que l'appartenance de la France à l'Europe est positive. En 1997, ils ne sont plus que 46%. Le désenchantement est particulièrement frappant dans le cas de la France, qui se distingue en 1994 par une forte proportion de personnes estimant à la fois que leur pays n'a pas profité de l'Europe et que la faute en revient à l'Europe. Les sondages montrent que l'Europe n'oppose pas les électorats de droite et de gauche, mais révèlent une opposition entre la France dotée et la France démunie, entre les gens d'en haut et les gens d'en bas L'Europe apparaît comme le catalyseur des inquiétudes françaises face à l'avenir et des mécontentements à l'encontre des gouvernements. [...]
[...] Il est clair que, pour l'opinion publique britannique, l'Europe n'a jamais été une priorité. Cependant, en 1975, le référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans la Communauté est un net succès : le oui est défendu par une grande partie des conservateurs, une minorité de travaillistes, le monde des affaires, la quasi-totalité de la presse et l'Eglise d'Angleterre. Les 67% de oui ne provoquent cependant pas un changement radical de l'opinion britannique. Quelques mois plus tard, un sondage montre qu'un dixième seulement des Britanniques considèrent que l'Europe est une priorité. [...]
[...] Le concept d'opinion publique n'est, dans le meilleur des cas, pas facile à cerner. Dans le cadre de la construction européenne, il peut devenir vraiment problématique. Ceci étant, il est impossible de passer sous silence cet aspect de la construction européenne. Deux images contradictoires s'imposent en effet. D'une part, celle d'une construction européenne considérée comme une aspiration profonde des peuples du continent et constituant le moyen d'assurer la paix et la prospérité. D'autre part, celle d'une construction européenne conforme à la volonté et aux intérêts des élites, en particulier franco-allemandes. [...]
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