Nationalisme, colonisation, Première Guerre mondiale, France, Grande-Bretagne, Allemagne
En 1885, alors que la France est plongée dans la crise politique du Tonkin, Jules Ferry déclare à la Chambre des députés : « La place laissée vacante par la France ne manquerait pas d'être occupée par ses rivaux et ses concurrents : que le drapeau français se retire du Tonkin et l'Allemagne ou l'Espagne nous y remplaceront sur l'heure ». Sa phrase reflète bien le contexte géopolitique qui est celui de l'Europe entre 1850 et 1914, celui à la fois d'une politique colonialiste qui se mue peu à peu en impérialisme, motivée par l'opposition entre nations et le sentiment nationaliste. Tandis que la colonisation renvoie à un rapport de domination qui conduit à l'exploitation des ressources, comme l'affirme Guy Perillé dans la Revue d'Histoire moderne et contemporaine en 1972 : « Qui dit colonisation pense domination, et qui pense domination sous-entend exploitation » et se définit donc plutôt simplement comme la politique légitimant la doctrine colonialiste, la notion de nationalisme paraît plus complexe à définir. En effet, la doctrine nationaliste connaît plusieurs changements au cours du XIXe siècle, car, si elle s'exprime tout d'abord à l'intérieur même des pays dans un but d'unification et de recherche d'une réelle identité nationale (cela peut par exemple être illustré par l'unification de l'Italie en 1861 et par celle de l'Allemagne en 1871), en opposition donc à tout expansionnisme, elle évolue peu à peu vers une forme plus virulente, se transformant en désir de puissance, qui se mue en désir d'impérialisme.
[...] Par ailleurs, les comptoirs et les colonies permettent un meilleur contrôle des mers à la Royal Navy. Enfin, ces raisons sont également démographiques. En Allemagne, celle-ci est vue comme pouvant offrir des espaces de peuplement pour les populations menacées par la misère (Sandrine Kott, Stéphane Michonneau, Dictionnaire des nations et des nationalismes, 2006), espaces pouvant également servir de lieu d'exil aux révolutionnaires, qui représentent une menace pour l'ordre établi (comme par exemple le bagne de Guyane ou l'Australie, colonie britannique mais peuplée initialement quasi-exclusivement de bagnards). [...]
[...] Les corps d'armée coloniaux font aussi l'objet d'une communication particulière visant à fédérer la nation autour de leurs actions ; c'est le cas en France des Troupes Coloniales, et notamment de leurs chants, qui font naitre dans les populations un désir d'ailleurs, une envie d'évasion, une relative fascination pour les territoires lointains de l'Empire : on assiste à une véritable romantisation de l'impérialisme. Pour faire adhérer les populations à la politique impérialiste, on essaye de les informer sur les territoires sous leur domination. En Allemagne, deux des périodiques pour enfants les plus lus du pays, Der gute Kamerad et Das Kränzchen, font essentiellement reposer leur ligne éditoriale sur l'Empire allemand et la façon dont l'enfant peut lui être utile. [...]
[...] L'issue de la conférence de Berlin (du 15 novembre 1884 au 26 février 1885) est caractéristique de l'impérialisme et de la logique d'expansion territoriale qui y est associée, les puissances européennes y organisant le partage de l'Afrique : ainsi, en 1872, si seulement des terres africaines sont sous domination européenne, ce rapport s'établit à à l'aube du XXe siècle : c'est la course au clocher Il apparaît donc clairement que c'est le renouveau nationaliste en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, et la nouvelle conception de celui- ci comme rapport de force entre puissance, associé au développement de thèses racistes dérivées des travaux de Darwin qui enclenchent la mutation du processus de colonisation traditionnel, qui est avant tout une domination économique par l'immigration ou l'établissement de comptoirs, à l'impérialisme, qui obéit plus à une logique d'expansion sans limite du domaine national et qui poursuit à la fois des buts économiques et politiques, avec la logique de grandeur nationale. Mais le développement de cet impérialisme a aussi eu des conséquence sur le nationalisme dans ces trois pays, et les deux notions ont évolué en convergeant, même si elles n'ont pas eu le même impact sur toutes les couches des populations métropolitaines. Tout d'abord, l'impérialisme a aussi pu influer sur le nationalisme. [...]
[...] En effet, à l'exception de la Grande- Bretagne, où la nation se fédère autour de l'Empire, comme l'expriment S. Kott et S. Michonneau dans leur Dictionnaire des nations et des nationalismes : au moment où la Grande-Bretagne colonisait l'Inde, l'Angleterre “colonisait” la Grande-Bretagne en tentant d'en faire un Etat- nation homogène le nationalisme colonial ne concerne, en France jusqu'à l'aube de la Première Guerre Mondiale et surtout en Allemagne, qu'une partie des élites et n'est pas à proprement parlé un sentiment populaire. [...]
[...] Nous nous intéresserons donc aux cas de la France, de la Grande- Bretagne et de l'Allemagne. En particulier, notre propos s'articulera autour de la problématique suivante : Comment la relation entre nationalisme et colonisation passe-t- elle, dans ces trois pays, d'une séparation puis d'une opposition avant les années 1870 à un enchevêtrement de plus en plus étroit de ces deux notions à la veille de la Première Guerre mondiale ? Si ces deux notions évoluent parallèlement durant les années 1870 pour même s'opposer dans les années 1880, la montée du sentiment nationaliste en Europe changera profondément la donne, ce dernier constituant désormais le principal mobile des politiques coloniales de la France, de la Grande- Bretagne et de l'Allemagne, qui se transforment même en volontés d'impérialismes. [...]
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