« Composer n'était plus que rêver » pour Beethoven a la fin de sa vie. Ce rêve de ses compositions était en quelque sorte une utopie politique, le projet de créer une œuvre monumentale qui constituerait un discours sur le pouvoir idéal, voir un acte de pouvoir dans la partition et dans l'orchestration. Dans la Neuvième Symphonie en ré mineur, la rhétorique des genres musicaux évoque l'univers militaire, religieux, le rituel de l'homme par lequel les hommes célèbrent le fait d'être ensemble. Cette symphonie est née au terme d'une époque qui a vu la naissance des musiques politiques modernes. Au XVIII ème siècle, le God save the king avait marqué l'apparition des hymnes nationaux en exprimant la conscience nationale et son adhésion subjective. Peu après, les écrits de Rousseau fondent une symbolique révolutionnaire dans laquelle La Marseillaise exprime la voix unique de la nation. Ainsi la rhétorique musicale devient très vite un discours politique, l'expression d'une forme d'opposition, voire un instrument de propagation de la révolte ou de la révolution. La musique peut aussi servir à légitimer le pouvoir d'un Etat et garantir l'adhésion des citoyens à l'ordre établi, sous la forme d'une musique orchestrée pour constituer le discours d'un Etat. Beethoven dans sa symphonie exploite la puissance suggestive du langage musicale pour réaliser son rêve. Les formes instrumentales offrent donc la possibilité aux compositeurs de transcrire leur utopie politique sous la forme de mélodies et de thèmes porteurs de sens. Au moment du congrès de Vienne, Beethoven est l'objet de louange de tout un peuple qui voit en lui un héros civil : il représente la grandeur nationale et cristallise les aspirations nationales en exaltant la richesse culturelle du pays.
Cependant la Neuvième Symphonie est aussi interprétée comme une exaltation de la liberté humaine ou l'Etat est par essence absent. Lorsqu'il a composé cette œuvre, Beethoven avait déjà marqué ses distances vis-à-vis du pouvoir politique : l'artiste se sentait proche du peuple et de la nation, mais éloigné du pouvoir. La question des rapports de Beethoven au pouvoir de son temps pose les enjeux des relations entre la musique et la politique dans ce siècle fondateur qu'est le XIX ème. Beethoven était-il porteur d'un discours politique proche du pouvoir ? Ou a-t-il été récupéré par les hommes politiques et les institutions officielles de l'ère bourgeoise pour garantir et légitimer l'ordre établi ? Les Etats bourgeois ont trouvé et sculpté les oeuvres musicales à la mesure de leur idéal de lutte et d'aspiration à la réconciliation universelle. Dans cette optique, L'Ode à la joie constitue une réelle utopie sonore. L'idée politique apparaît comme le dévoilement du sens profond de l'œuvre.
Mais nombreux sont ceux qui récusent l'utilisation et l'appropriation de la musique à des fins idéologiques : pour eux la musique est un langage universel ou les hommes se retrouvent à l'abri de la misère du monde. Elle ne serait qu'une jouissance esthétique pure ou s'exprimerait la liberté individuelle. Mais malgré le fait que l'on défende l'autonomie de la musique ou que l'on refuse d'y inclure des considérations politiques, il est nécessaire de s'interroger sur son rôle social et sur sa manière de participer aux mouvements politiques, que ce soit par le refus du politique dans la création d'un monde de jouissance pure ou par la prise de position dans les luttes et combats. D'un côté l'Ode à la joie a été admirée par les nationalistes allemands et les républicains français. D'un autre côté, l'association de ce mouvement à toute forme de culture officielle a été dénoncée au nom de l'autonomie de l'art et de l'antinomie entre Etat et utopie : son appropriation politique est considérée comme un détournement de son sens original.
L'enjeu est donc d'analyser les rapports qu'entretiennent la musique et la politique au XIX ème siècle en Europe: si la musique est un instrument du politique, il est nécessaire de s'intéresser à la manière dont elle sert le pouvoir et comment elle influence les citoyens dans leur conscience. Si la musique n'est que la production esthétique pure, elle est le fruit d'une individualité qui se positionne selon ses choix sur l'échiquier politique. Pour cela, il faut d'abord s'intéresser à la musique politique à travers les hymnes nationaux et leur impact sur le peuple et leur rôle dans les combats politiques. La musique a de surcroit pris une part essentielle dans les tensions entre nationalisme et cosmopolitisme. Enfin il est nécessaire de s'intéresser à la force des individualités pour comprendre la véritable influence de la musique.
[...] Pour Rousseau la musique, conçue comme un langage commun des passions, est l'instrument d'un ordre social utopique, ou l'émotion de chacun concourt harmonieusement à l'institution du collectif. Ce rapport du vécu au social s'exprime dans le chant qui excite l'amour du pays : Ces effets ne viennent que de l'habitude, des souvenirs qui, retracée par cet air à ceux qui l'entendent, leur rappellent leur pays. Rousseau ajoute : la musique agit comme signe mémoratif Il prélude ainsi à la musique politique lancé dans l'espace communautaire. [...]
[...] La musique politique connaît un immense succès car elle rassemble l'esprit public et le triomphe militaire de l'état. Au moment du Congrès de Vienne, Beethoven compose L'Instant glorieux qui participa à la formation idéologique du Concert de l'Europe. Il associe son œuvre à la construction d'une identité politique européenne : elle est la représentation musicale d'un univers où les peuples, les Empereurs, la Patrie et l'Humanité s'emboitent dans un réseau de hiérarchies. Mais c'est dans les grandes œuvres comme la Missa solemnis ou la Neuvième Symphonie que s'expriment véritablement les idées politiques de Beethoven. [...]
[...] C'est en Allemagne que s'épanouit le nouvel art musical. Celui-ci se développe notamment avec Richard Wagner qui meurt en 1883, mais dont l'influence ne cessera de croitre dans le début du XXe siècle : il se veut à la fois un art intégral, en reliant la poésie à la musique et à la mise en scène, et une réponse pessimiste aux désillusions de l'homme européen que l'homme de la Tétralogie a hérité de Schopenhauer. Cette réponse s'épanouit dans le chant obscur de l'instinct, dans le goût violent de la douleur et dans le retour volontaire au néant, thèmes empruntés la philosophie nietzschéenne. [...]
[...] Par son double et paradoxale hérédité entre nationalisme polonais et cosmopolitisme français, Chopin n'est qu'un exemple de plus de cette vérité Beethoven et l'ambigüité du rapport au pouvoir Le 22 décembre 1808, Ludwig van Beethoven présente au théâtre An der Wien la Cinquième Symphonie et la Symphonie pastorale, l'aria Ah ! Perfido et le Quatrième Concerto pour piano et orchestre. Il se montre ce soir là au sommet de sa créativité et s'impose comme la première figure musicale de Vienne. A ce titre il participe à la montée en puissance d'une idéologie de la culture, une Bildung appelée à devenir un centre de l'univers bourgeois. [...]
[...] Des solidarités se nouent entre les artistes engagés et les combattants de la liberté, en Grèce par exemple (où Byron trouve la mort en 1824) ou en Pologne. Les artistes voyagent dans tout le continent à la recherche de nouvelles inspirations ou de nouvelles techniques au contact des modèles culturels étrangers, ou tout simplement pour trouver un public. Le cosmopolitisme se traduit par le brassage culturel, la diversité des milieux d'accueil (salons parisiens et londoniens, mécènes en Italie ou en Allemagne) et les jeux d'influence entre les noblesses comme au temps des despotes éclairés. [...]
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