« L'idée de Patrie a pour première chose un fondement naturel et, pour ainsi dire, une base physiologique ou physique ; – mais elle a aussi une base traditionnelle, un fondement historique ; – et enfin, nous n'avons pas peur de le dire, un fondement mystique sans lequel elle pourrait très bien être une société d'assurances ou de mutualité ». Ainsi Ferdinand Brunetière (1849-1906), auteur phare de la réaction contre le positivisme, définissait-il la communauté du peuple (Volksgemeinschatf en allemand). Or on peut s'interroger sur la pertinence d'une définition de cet acabit dans le cadre des sociétés occidentales (où par Occident on entend l'Europe et les USA) des années 1850-1914 – depuis les séquelles de l'agitation de 1848 jusqu'au début de la Grande Guerre.
En effet, ces années sont par excellence celles du changement, du progrès sous tout point de vue (technique, politique, intellectuel). Si la conception de Brunetière suppose que les Nations soient des entités par nature immobiles et ancrées dans le conservatisme, de fait il n'en est rien. Les années 1850-1914 représentent sous divers aspects un premier moment de démocratisation entendue comme l'accès à la citoyenneté d'une grande partie des populations, c'est-à-dire la pleine jouissance des droits civils, civiques et politiques – ce qui est au demeurant une représentation moderne de la citoyenneté – ainsi qu'à l'épanouissement de l'individu. On pourra donc se demander : dans quelle mesure peut-on parler d'une démocratisation des sociétés européenne et américaine de 1850 à 1914 ?
[...] C'est seulement après 1875 que le régime devient proprement et solidement républicain. Durant ces mêmes années les peuples allemand et italien assistent à l'unification. Les processus unitaires se déroulent en substance de façon plutôt différente. Les territoires germaniques, que le rassemblement douanier du Zollverein unissait depuis 1833, se regroupent selon les projets d'Otto Von Bismarck autour de la Prusse, grande puissance militaire : le Große Deutsche Reich est né. Comme le voulaient les partisans de la petite Allemagne l'Autriche en est exclue. [...]
[...] Les années 1850-1914 sont aussi et surtout un moment de massification des sociétés, tant politiquement que culturellement. En premier lieu, les masses se politisent. L'élargissement du suffrage, que l'on a eu l'occasion de traiter plus haut, entraîne un intérêt croissant pour l'action du gouvernement. Les informations circulent toujours plus et plus rapidement : en France on vend au milieu de la période plus de 10'000'000 de journaux par jour et l'offre est pour ainsi dire infinie : on lit l'Humanité, La Croix, le Figaro, Vorwärds ou la Frankfurter Allgemeine Zeitung en Allemagne, Il Corriere della Sera en Italie. [...]
[...] La France quant à elle est l'un des pays d'Europe sinon le pays ayant expérimenté le plus de formes politiques entre 1789 et nos jours. Après le moment de flottement de 1848 la IIe République est mise en place ; elle ne dure pas. La montée en puissance du Parti de l'ordre et surtout de la figure de Louis-Napoléon Bonaparte, ainsi que son désir de gouverner, affaiblissent le sentiment républicain. En 1851, c'est le coup d'État ; Napoléon III le petit règne durant près de vingt ans. [...]
[...] Néanmoins ce mouvement de démocratisation de l'éducation n'est pas uniforme. En 1913, à la veille de la Première Guerre mondiale, la Russie qui n'a rendu l'instruction obligatoire qu'en 1908 compte toujours 85% d'illettrés parmi les paysans et l'Italie du Sud près de 60% d'analphabètes. Ce mouvement d'accès à l'éducation s'accompagne d'une sécularisation certaine. La remise en cause des dogmes des religions révélées par les découvertes scientifiques de la seconde moitié du XIX ème siècle l'explique en partie. C'est en France que ce mouvement est le plus fort car l'idéologie politique dominante de cette fin de siècle, le radicalisme, est profondément anticléricale. [...]
[...] En Europe semble tout d'abord avoir été un échec mais ses conséquences sur les sociétés sont importantes sur bien des points. En France, la république a fait son retour et a montré qu'elle n'était pas nécessairement révolutionnaire et pouvait être au service d'un parti conservateur comme le parti de l'ordre. Cependant l'aventure républicaine prend rapide fin lorsque le régime, partagé entre la capitale et les provinces, est renversé par le coup d'État de celui qui devait s'en porter garant, le président Louis-Napoléon Bonaparte. [...]
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