A l'image de Charlemagne ou de Louis XIV, Napoléon a crée lui-même sa propre légende et ce dès 1796. A la tête de l'armée d'Italie, il comprend alors l'importance d'une image officielle avec la création du Courrier de l'armée d'Italie, puis des Bulletins de la Grande armée. Pourtant, il est difficile de comprendre la formation d'une telle légende, le mystère, condition indispensable, n'entourant aucune des différentes périodes de la vie de l'homme.
En juillet 1815 pourtant, à la suite de l'ultime défaite de Waterloo du 18 juin, tout portait à croire que la Restauration allait sonné le glas d'une épopée commencée 20 ans plus tôt, la réaction anti-napoléonienne se préparant avec l'arrivée des ultras au pouvoir. Pourtant, un ultime coup du sort vint contrebalancer ceux qui avaient souhaité mettre entre parenthèse la période révolutionnaire et le règne de Napoléon. Le 3 juillet, tandis qu'il attendait les sauf-conduits pour tenter de s'expatrier en Amérique, Napoléon décida de se rendre de lui-même aux anglais, se condamnant à l'exil sur la lointaine île de Sainte-Hélène. Pourrions nous imaginer l'Empereur aventurier en Amérique ? La légende qui allait l'entourer en eût été brisée, laissant la part belle aux critiques et à la légende noire qu'allaient diffuser les anti-napoléonien.
Ainsi, de sa défaite de 1815 à l'élection de son neveu Louis Napoléon à la présidence de la République le 10 décembre 1848, sa mémoire a-t-elle profondément évolué en Europe, passant de la légende noire à la légende dorée. Chateaubriand résume ainsi cette idée en quelques mots : « Vivant, Napoléon a manqué le monde, mort il le conquiert ».
La question est ainsi de savoir comment la nature de la mémoire de Napoléon a évolué de 1815 à 1848 en Europe. Nous analyserons d'abord quelle a été la réaction anti-napoléonienne suite à la défaite de Waterloo pour asseoir un retour à l'ordre ancien des choses, puis nous étudierons la réhabilitation de Napoléon par le mouvement romantique. Enfin, nous constaterons comment la mémoire de Napoléon a été un enjeu politique c'est-à-dire comment des personnalités ont favorisé la diffusion de cette mémoire pour leur destin personnel.
[...] Des récits de sa vie fleurissent en Europe et rencontrent un franc succès : Vie de Napoléon Bonaparte par Walter Scott (1827) . Si la Restauration en Europe avait cru pouvoir placer entre parenthèse l'époque glorieuse de l'Empire, Napoléon allait se charger du haut de son rocher de les remettre en mémoire et de se construire un mythe qu'aucun régime ne pourrait écarter. Malgré la censure sévit au début, un certain culte de Napoléon est en quelque sorte officialisé en France et sa mémoire devient l'objet d'une utilisation politique. [...]
[...] Napoléon est ainsi vu par eux comme un usurpateur, un tyran qui déchaîne toutes les haines et les violences à l'image des critiques virulentes des journaux royalistes de l'époque (La Gazette de France, La Quotidienne La terreur légale visant à effacer réduire Napoléon et la Révolution à une parenthèse de l'histoire, suit ainsi la terreur populaire par le vote de plusieurs lois dont celle sur les discours et actes séditieux novembre 1815) qui condamne les chants, les cris et les insignes à la faveur de l'empereur, ou la loi d'amnistie (12 janvier 1816) qui procède a bannissement des régicides comme Fouché et poursuit la sévère épuration des fonctionnaires d'administration (jusqu'à un quart). Napoléon fait ainsi l'objet d'un damnatio memoriae. Mais le règne de Napoléon aura surtout eu comme conséquences en Europe de faire naître des sentiments nationalistes notamment dans des Etats qui étaient profondément divisés. [...]
[...] Exposant les conditions de vie de Napoléon et les multiples tracasseries provoquées par Lowe, ceux-ci annoncent le Mémorial de Sainte-Hélène de Las Cases de 1823. Immense succès faisant l'objet de plusieurs éditions, le Mémorial est le catalyseur de la légende de Napoléon auprès du monde littéraire : rassemblant des confidences de Napoléon, il lui donne l'occasion de se forger une nouvelle image, celle d'un homme simple, libéral, ami des peuples et animé par le sens de l'intérêt général. Répondant à la nostalgie de toute une génération d' enfants du siècle il répond à la légende noire, pose Napoléon en martyr de Sainte-Hélène et devient la bible des romantiques lassés de la Restauration. [...]
[...] La mort de Napoléon est ainsi vécue comme un soulagement par le roi Louis XVIII et son entourage. Néanmoins, les libéraux profitent de cet événement car ils pensent désormais pouvoir l'utiliser contre les Bourbons en exaltant la mémoire d'un Napoléon Bonaparte libéral tandis que les souvenirs de l'Empire semblent relégués dans l'histoire. En 1830, tandis que grandit la contestation contre Charles les 4 ordonnances de St-Cloud mettent le feu aux poudres et provoquent la montée de barricades. Bien qu'ils n'en soient pas les instigateurs, des bonapartistes font partie des combats et des cris de Vive l'empereur ! [...]
[...] La fidélité populaire fut ainsi incontestable sous l'Empire dans les campagnes notamment exaltées par la gloire des armées de paysans à la conquête de l'Europe. Une légende complexe et populaire fondée sur une certaine nostalgie après Waterloo mais aussi se diffuse ainsi dans les campagnes autant que dans les villes exaltant le héros de guerre, mais aussi la figure d'un Empire libéral défenseur des valeurs de 1789 et de la souveraineté populaire. Les meilleurs vecteurs de cette légende sont alors les demi-soldes, vétérans de la Grande armée, qui, rentrés dans leur campagne et souhaitant justifier leur oisiveté, entretiennent la flamme en relatant les événements et les exploits de leur héros : on estime à au moins un vétéran par village en moyenne en 1815. [...]
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