« Ils commémorent au mois de mai un sang qui coula rouge et noir,
Une révolution manquée, qui faillit renverser l'Histoire »
Renaud Séchan, « Hexagone » in Amoureux de Paname (1975)
Placer une citation d'un chanteur dit « populaire » en tête d'un exposé universitaire peut paraître surprenant, voire provocant. Cependant, le fait que ces quelques mots émanent d'un des acteurs de l'évènement décrit, Mai 68, relève la légitimité du procédé. Surtout, ces mots font partie intégrante du sujet. Ils font en effet appel à un mythe figé dans les termes comme dans les mémoires, à un temps immobilisé en un mois fantasmé, à une révolution, « introuvable » pour les uns, « manquée » pour les autres. C'est le rôle de l'historien que de déconstruire ce mythe pour l'expliquer en prenant en compte toute l'exceptionnalité de l'évènement.
Il ne s'agit donc pas seulement d'effectuer un récit chronologique de chacune des journées de mai, de la fermeture de la Sorbonne le 2 mai au discours du général de Gaulle dissolvant l'Assemblée nationale le 30, mais d'en saisir la portée symbolique et réelle, de saisir ce qui fait évènement, ce qui fait Le moment 68, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Michelle Zancarini Fournel , par une mise en contexte. Ainsi, si l'on s'attache d'abord aux semaines précédant l'évènement, ce qui frappe est son caractère totalement imprévisible. Cependant, l'historien a cet avantage sur le contemporain qu'il connaît la fin et a une vision sûrement plus globale des différentes temporalités à l'œuvre en un moment précis. C'est dans cette tension entre la connaissance du déroulement, de la portée de l'évènement et la nécessité de préserver, dans son récit, l'imprévisibilité des possibles que s'inscrit notre propos.
On se demandera donc comment le contexte de tensions politiques, culturelles et sociales marquant la France du milieu des années 1960 s'est transformé, en mai-juin 1968, en une crise (entendue comme moment décisif et modifiant) globale aux répercussions nombreuses et durables.
[...] La jeunesse révolutionnaire actrice des évènements, et qui aspirait à un changement sort déçue[32] de mai 68, considéré comme une révolution manquée De fait, l'historiographie, parfois à tort, nous l'avons vu, a souligné le bouleversement culturel des mœurs issu de mai 68. Parallèlement, les avancées économiques et sociales apparaissent bien pauvres. Pourtant, force est de constater que les idées d'autogestion portées par le mouvement font leur chemin dans les années 1970. Dans certaines mesures, c'est une révolution sociale. La CFDT reprend ainsi de manière forte cette idée de la participation des salariés aux décisions de l'entreprise. En 1973, la France découvre l'exemple de l'entreprise fabricante de montres Lip qui se voit gérée par ses salariés. [...]
[...] De fait l'année 1966 marque le développement de très nombreuses grèves spontanées, que l'historiographie récente[10] a mises en valeur, et qui son considérées comme le commencement d'un cycle qui trouvera son apogée en mai. Il faut souligner également que les grèves syndicales organisées ont été nombreuses dans ce milieu des années 1960. D'ailleurs, la reprise en main des grèves par les syndicats traditionnels en 1968 fait une large place aux revendications locales, portées parfois, selon Xavier Vigna, depuis les années 1950, dont la satisfaction n'avait pas été obtenue antérieurement. [...]
[...] Elle s'articule notamment, en 1963 et 1965 autour de l'exigence de la création d'un salaire étudiant. Le sociologue Edgar Morin parle de commune juvénile dans La commune étudiante in Edgar MORIN, Claude Lefort, Cornélius Castoriadis, Mai 68 : La Brèche, Bruxelles Cette interprétation est encore reprise aujourd'hui comme en témoigne un des titres présents dans l'article d'André Burguière Rapports entre générations dans Constructif, Juin 2008 : Mai 68 génération en crise ou crise entre les générations ? Ludivine Bantigny, Que jeunesse se passe ? [...]
[...] Les Français s'ennuient. Ils ne participent ni de près ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde. La guerre du Vietnam les émeut, certes, mais elle ne les touche pas vraiment. Invités à réunir "un milliard pour le Vietnam" F par tête F par adulte, ils sont, après plus d'un an de collectes, bien loin du compte. D'ailleurs, à l'exception de quelques engagés d'un côté ou de l'autre, tous, du premier d'entre eux au dernier, voient cette guerre avec les mêmes yeux, ou à peu près. [...]
[...] En effet, alors qu'il proposait aux Français un référendum voulant, prenant en compte les revendications exprimées en mai, étendre la participation (plus précisément, la cogestion) instaurée dans les universités à des régions administrées par des conseils comprenant élus et représentants des organisations socio-professionnelles, De Gaulle s'est confronté à une opposition large. Celle-ci peut être considérée, pour une part, comme ayant lien avec les évènements de Mai 68. En effet, si la gauche s'oppose aux projets, les syndicats, constatant que l'inflation avait presque gommé les avantages obtenus aux accords de Grenelle, marquent également nettement leur opposition. Le rejet de la proposition gaullienne, le 27 avril 1969, entraîne la démission immédiate du fondateur de la Vè République. [...]
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