Récemment le nombre de lois ayant trait à l'Histoire a augmenté (loi Taubira relative à l'esclavage, reconnaissance du génocide arménien) à tel point que la question précise du rapport de l'Histoire au droit se fait pressante. Qu'en est-il du jugement de l'historien face au droit ?
Alors que le jugement de l'historien est propre à la méthode des sciences humaines (choix des sources et analyse) comme à la compréhension et à l'évaluation historiographique concernant un fait historique, le droit, lui, est compris comme un corps de normes ou de prérogatives appliqué aux individus. Le droit étant ce à quoi les individus peuvent prétendre, il se constitue alors mécaniquement appréciation permanente, voire dans ses modalités les plus contraignantes cause des actions individuelles.
Le spectre étonnant de la confrontation de deux jugements surgit alors. L'historien se trouve comme pris au piège entre deux faisceaux de jugements ; le sien propre et celui du droit, ce dernier restant à ce stade de l'analyse indéterminé. Ainsi, si l'on retient de l'historien qu'il s'agit à la fois d'une personne ayant pour fonction la recherche de sources concernant les faits passés et l'écriture d'une vision historiographique (mémoire sociale), mais aussi d'un savant engagé dans la recherche de la vérité, alors la question se pose de la possibilité de l'historien d'exercer son jugement.
Par conséquent, comment expliquer cette double confrontation du jugement de l'historien et du droit ? Quelles en sont les justifications et les conséquences ?
[...] C'est précisément un domaine issu du jugement de l'historien qui est ici transféré au droit. Le philosophe Tzvetan Todorov analyse cette évolution dans Les abus de la mémoire comme un des effets inattendus d'une obsession de repentir occidental. Le législateur serait alors comme happé par un état d'esprit ambiant. D'ailleurs ces lois constituent vraisemblablement des incohérences dans le système juridique français, puisqu'elles sont en contradiction apparente avec la constitution (notamment avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). [...]
[...] La liberté de jugement de l'historien Tout d'abord, l'exigence de confronter le jugement de l'historien au droit n'est pas au premier abord légitime ou justifiée en démocratie. En effet, le régime de liberté qui caractérise la démocratie autorise en principe l'existence de champs interstitiels où le citoyen, parce qu'il n'est pas confronté au droit d'autrui, est libre d'exercer pleinement sa liberté. Là se situe un fondement de la démocratie libérale occidentale ; parce que le citoyen participe à l'élaboration de la loi, celle-ci ne doit pas se faire oppressante et investir tous les champs de la vie du citoyen. [...]
[...] Ce dernier se constitue observateur de cette réalité du droit. Par exemple, l'École historique de Savigny et Montesquieu traite le droit comme le reflet de l'état des mœurs d'une société. Ainsi, si l'on s'en tient à ces seules affirmations, les crimes de l'État nazi de 1933 à 1945 ne sauraient être condamnés car ils sont en conformité stricte avec le droit de l'époque. L'introduction de droit attachée à l'homme en tant qu'homme (Locke) dans leur version laïque est cautionnée par le jugement de l'historien juge d'une stabilité de la morale. [...]
[...] Le jugement de l'historien offre une appréciation des faits différents de celle du droit. L'historien évalue également le crime contre l'humanité par exemple, mais en fonction d'autres critères comme sa morale propre. Jugement de l'historien et droit ont donc d'abord une influence l'un sur l'autre. Ils participent mutuellement à leur construction interne. II Un face à face qui tourne parfois à l'inhibition Cependant le droit est conduit parfois à restreindre le jugement de l'historien, pour diverses raisons qui laissent soupçonner parfois un envers totalitaire aux démocraties. [...]
[...] Il convient donc de comprendre la transformation de ce rapport en droit. La responsabilité du jugement de l'historien peut-être mise en cause au titre d'intérêts privés ou publics. À ce titre, le jugement historique a un statut juridique transversal, mêlant droit public et droit privé ; soit à la fois le droit des biens (notamment culturels), le droit des contrats, le droit des propriétés intellectuelles et le droit des archives. Les restrictions du droit au jugement de l'historien La limitation du jugement de l'historien au profit du respect d'intérêts privés se construit autour de la compréhension libérale du droit. [...]
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