L'extrait étudié ici relate les souvenirs de l'écrivain alors qu'il était élève sous la IIIe République, période pendant laquelle sont votées de nombreuses lois scolaires, notamment celles de Jules Ferry, destinées à transformer le système éducatif. Cette politique touche aussi le corps enseignant qui devient le héraut des valeurs du nouveau régime. Les instituteurs, auxquels Péguy rend hommage en les baptisant « hussards noirs », expression communément adoptée par la suite, sont le cœur de cette nouvelle élite garante des valeurs républicaines et de leur transmission. En effet, l'unanimité nationale autour du régime républicain et dont ils sont les outils, existe grâce à une action volontariste de tous les gouvernements successifs - après leur victoire sur le camp monarchiste jusqu'alors au pouvoir (De Broglie ; Mac Mahon) - principalement axée sur l'éducation de la nation pas encore totalement gagnée à la République.
Péguy nous amène ici à nous interroger sur la double implication du corps des instituteurs dans cette jeune, et encore fragile, République. En effet, on peut se demander jusque dans quelle mesure ceux-ci sont à la fois une réalisation de l'idéal républicain et un vecteur de diffusion de celui-ci dans la société. En quoi les instituteurs forment-ils un corps social répondant d'un nouvel idéal ? Nous tâcherons de répondre à cette question, tout en nous appuyant sur le texte, en montrant que les instituteurs passent par un service obligé garantissant la formation d'une élite, formation qui font de ces « hussards noirs » les nouveaux soldats de la République, et dont le nouveau champ de bataille à conquérir est l'école.
[...] La multiplication des écoles normales traduit donc l'immense effort de la République pour se doter de nouveaux instituteurs. Péguy nous dit qu'elle était comme un immense dépôt, gouvernemental, de jeunesse et de civisme. Le gouvernement de la République était chargé de nous fournir tant de jeunesse et tant d'enseignement. L'État était charger de nous fournir tant de sérieux (l. 16-19). Ces écoles témoignent aussi de la volonté de cimenter un corps sous des compétences et des normes de services communes. [...]
[...] Les prix, et surtout les bourses tendent à instituer un système méritocratique (encore que cette notion explicitement nommée soit plus tardive) qui valorisent l'individu pour ses capacités et non plus selon sa fortune et son rang, selon l'idéal des classes moyennes et bourgeoises de l'époque. Le système scolaire est donc bien l'une des pièces maîtresses de la synthèse républicaine qui tend à montrer l'image d'une société fluide où chacun peut espérer s'inscrire au cœur d'une cité qui semble donner l'espoir d'une possible ascension sociale. [...]
[...] Il y a donc transposition des liens entre l'État et les instituteurs au sein même de l'école qui serait ici vue comme une micro-république où les notions de fraternité sont reprises à l'échelle de la classe. Les instituteurs, sous la tutelle d'un État bienveillant et paternaliste, rendent compte eux-mêmes de ses valeurs auprès de leurs élèves dans lesquels ils reconnaissent les citoyens de demain, et par là même leurs frères, élevés sous la même mère nourricière qu'est la République : [ ] ils croyaient, et si je puis dire ils pratiquaient que d'être maîtres et élèves, cela constitue une liaison sacrée, fort apparentée à cette liaison qui de la filiale devient la paternelle (l. [...]
[...] Cette proximité et l'échange avec l'instituteur diffèrent apparemment de l'enseignement donné par les maîtres de la Sorbonne dont Péguy fustige l'étroitesse d'esprit ainsi que le caractère sclérosé de l'enseignement qu'ils dispensent, encore dominé par les valeurs de l'arbitraire et de l'autoritarisme : Ils n'étaient point comme nos beaux maîtres de Sorbonne. Ils ne croyaient point que, parce qu'un homme a été votre élève, on est tenu de la haïr. Et de la combattre ; et de chercher à l'étrangler. Et de l'envier bassement. [...]
[...] Points, éd. du Seuil, Paris mise à jour en DÉMIER Francis, La France au XIXe siècle, 1814-1914, coll. Points, éd. du Seuil, Paris PROST Antoine, Histoire de l'enseignement en France, 1800-1967, coll. éd. Armand Colin, Paris - Articles de revue . Le grand rêve républicain p. 41- 74, deuxième dossier in Mille ans d'école, de Charlemagne à Claude Allègre, Les collections de l'Histoire, octobre 1999 : - GAILLARD Jean-Michel, Les victoires de Jules Ferry p. [...]
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