La décision de faire de Madagascar une colonie et la remise au général Gallieni ouvrent une phase nouvelle dans la politique malgache de la France. Ce n'est plus le fait d'exercer un protectorat sur la monarchie du peuple dominant. Pour imposer la souveraineté française, il a fallu la disparition de l'hégémonie Merina et la conciliation avec les indigènes malgaches, en évitant toute répression aveugle. Gallieni (1849-1919) est celui qui pacifia et organisa Madagascar (1896-1905). Le 27 février 1897, il devient le gouverneur général de l'île dès que la reine Ranavalona III est exilée. Pour Gallieni, il est nécessaire aux responsables français (officiers etc.) de connaître le pays, de rédiger des études historiques, géographiques et ethnographiques. Il crée ainsi l'Académie malgache en 1902.
Dans ces années 1921 à 1923, les fonctions de gouverneur général sont exercées par Garbit, l'ancien secrétaire du gouverneur général Picquié. A cette date, la France vient juste de sortir de la Première guerre mondiale, où 4000 engagés volontaires malgaches ont péri. Les vétérans malgaches de cette guerre soutiennent alors le mouvement embryonnaire nationaliste. Pendant ces années 1920, les nationalistes (Vy Vato Sakelika) insistent sur la réforme du travail et l'égalité du statut civil et politique des malgaches. Madagascar est alors divisée en vingt-quatre districts et en 1922, le chef de province d'Ambositra est Talvas, successeur de Marchand et à la politique différente : pour lui, il s'agit de faire obéir l'indigène « avec fermeté », ce qu'il explique dans cette lettre (doc 1), probablement adressée à la mission d'Inspection Henri. A cette même date, l'inspecteur des colonies à Madagascar est Décieux. Il est un agent de l'Etat français chargé d'une mission de surveillance et de contrôle des colonies, pour maintenir l'ordre et éviter d'éventuel abus des administrateurs en place. L'extrait de son rapport (doc2) montre une position contraire sur la question du recrutement de la main d'œuvre. Ce rapport est un texte officiel destiné au Ministère des Colonies. Il est précis : chiffres, noms d'entrepreneurs, dates etc.
De 1924 à 1929, le nouveau gouverneur général est Marcel Olivier. Il favorise l'activité des grandes compagnies commerciales et crée la Banque de Madagascar (22 novembre 1925) et une organisation de crédit agricole. A cette date, les exportations de produits primaires sont excédents, c'est le contexte de prospérité passagère du début des années 20. De grands travaux d'infrastructures sont donc mis en place ; le 3 juin 1926 est alors créé le SMOTIG (travaux forcés), à la fin de l'année c'est le début des travaux de la ligne Fianarantsoa (ville au sud -est de Madagascar) à Manakara (ville sur la côte, au sud-est). Face au problème de la main d'œuvre dans les colonies, et aux divergences d'opinion sur cette question, le ministère de l'économie rédige une note le 23 mai 1927 (doc 3). Cette note est sensée énoncer l'avis du ministère et mettre en place une sorte de programme, à l'attention des administrateurs, chargé de réglementer le travail des indigènes dans les colonies. En 1927, le contexte est délicat pour l'Etat. Même si la France est au sommet de sa puissance coloniale, le contexte économique était morose. La valse constante des gouvernements est à l'origine du rappel de Poincaré en juillet 1926 : il incarne l'orthodoxie financière et rétablit la confiance.
Selon Talvas, la contrainte est plus efficace que la persuasion pour « se procurer de la main d'œuvre » (l 1-3). Pour lui, la contrainte a permis la création des infrastructures (l 4-6). Pour lui, le colon est supérieur à l'autochtone, il doit donc se faire obéir (l 6-12), comme le colonel se fait obéir du soldat (l 12-14). Pour Talvas, c'est un procédé qui fonctionne et qui est accepté des indigènes (l 14-16). Selon l'inspecteur Décieux, la contrainte est différente en théorie et en pratique (l 19-24). Il fait ensuite la comparaison entre deux entrepreneurs (l 24-29) : l'un « bon », l'autre « mauvais », puis il prend l'exemple de Orsini « bon entrepreneur » désavoué des employeurs (l 29-33). Pour le gouvernement, le travail forcé est un devoir nécessaire mais par la persuasion, non la contrainte (l 44-50). Le devoir s'accompagne donc des droits (l 51-56), qui existent en partie dans les colonies (l57-58). De plus, il est utile et bienvenu que les administrateurs d'Outre-mer et d'Indochine se réfèrent aux anciennes lois, qui organisaient le travail (l 59-65). De même, le droit d'opinion est réaffirmé (l 66-67) ainsi que le devoir de l'Etat français (l 68-69) celui de « veiller à développer la natalité ». La place de la médecine et de la santé des indigènes est prépondérante pour le ministère (l 70-77). L'emploi des ouvriers est strictement réglementé (l 78-89), les mesures sanitaires occupent une place importante, que ce soit la santé (l 82-86) ou la nourriture (l 87-89). Le ministère rapproche ces mesures d'autres circulaires (l 90-92). Enfin, il tente de combattre le fléau de l'alcoolisme chez les ouvriers indigènes (l 93-96).
La question de la main d'œuvre est délicate à cette date. Elle démontre les enjeux des différentes forces qui s'affrontent ; les administrateurs coloniaux, les colons, les défenseurs des valeurs républicaines, l'Etat et une voix absente ici, celle des indigènes eux-mêmes.
D'une part, la vision du travail forcé comme une contrainte est justifiée par l'administration locale. D'autre part, deux voix s'élèvent contre ce travail forcé contraint, celle de Français et celle des indigènes. Enfin, la position ambiguë de l'Etat, qui oscille entre le système colonial et les valeurs républicaines.
[...] Dans une caserne de France, un colonel qui n'emploierait que la persuasion pour obtenir de ses hommes la discipline nécessaire, l'exécution des corvées, serait vite jugé par ses chefs. Les résultats obtenus seraient certainement insignifiants. L'agriculteur malgache n'est pas un soldat mais il doit être traité de la même façon. De nombreux indigènes m'ont exprimé leur reconnaissance pour la façon dont je les avais dirigés lorsque j'ai quitté les provinces où j'ai résidé le plus longtemps. b. Réponse de l'inspecteur des colonies Décieux (1921-1923) Je ne partage pas l'opinion du chef actuel de la province d'Ambositra. [...]
[...] D'après les circulaires du Ministre des Colonies du 22 juillet et du 4 octobre 1924, aucune indigène ne peut être envoyé sur un chantier s'il n'a subi au préalable deux visites médicales ; visite de mise en route et visite d'embauchage ainsi que vaccinations préventives et désinfection. L'installation matérielle sur les chantiers doit être préparée à l'avance et les conditions d'habitat, couchage, douches, lavabos, infirmerie, etc. doivent être vérifiées par l'Administration locale. La nourriture doit être obligatoirement délivrée en nature. Le régime alimentaire doit comprendre une ration normale et une ration forte, à allouer dans tous les cas de surmenage et de travail plus pénible. L'alcool est absolument interdit. [...]
[...] - Un problème apparaît toutefois : la divergence de la conception du traitement de la main d'œuvre entre entrepreneur et employeur. La recherche du profit à tout prix de certains employeurs s'opposent aux mesures minimales pour les ouvriers, que veulent mettre en place certains entrepreneurs. ayant pris toutes une séries de mesures successives [ ] les employeurs cessèrent de s'adresser à lui pour le recrutement de leurs ouvriers 32-33)). On assiste à un affrontement de deux logiques ; d'une part celle des employeurs, qui est de recruter en masse et rapidement, d'autre part celle des entrepreneurs, qui est celle du travail et du recrutement de longue durée. [...]
[...] Un paradoxe est donc instauré. - L'existence de cette main d'œuvre nécessite donc la mise en place d'un code du travail : le Ministère des colonies détaille un code du travail précis, qui protège les ouvriers indigènes des abus des employeurs il convient donc de surveiller d'une façon efficace la protection du travailleur à tous les points de vue 53)). Il s'agit de mettre un terme aux pratiques abusives de certains entrepreneurs et aux écarts de recrutement entre les entrepreneurs réputés bons et les mauvais Ce code à l'intention des administrateurs vise à uniformiser les conditions de travail, à uniformiser la position des différents administrateurs face à cette question de la main d'œuvre. [...]
[...] Pour l'Etat français, la religion [ ] des races primitives, doit être respectée autant que ses rites 66-67), et les lois et coutumes édictées par les souverains Hova (terme malgache qui, après avoir parfois désigné l'ensemble des Merina, fut réservé, chez ceux-ci, à la catégorie des hommes libres) sont respectables. [ ] il est opportun de s'y référer 63-64). Au moment de la conquête de l'île, les Français ont joué les Hovas contre les autres ethnies, ce qui leur a facilité la colonisation. En plus de la volonté coloniale de s'imposer à la population, cela marque surtout le fort sentiment identitaire du peuple malgache. [...]
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