L'irruption massive de l'imprimé dans la vie quotidienne des sociétés occidentales vers le milieu du XIXème siècle a été possible grâce à de nouvelles techniques permettent une production et une diffusion des livres, journaux et brochures incomparable aux possibilités antérieurs. Ces nouveaux produits culturels se donnent pour vocation de toucher par leur prix, leur contenu et leur distribution le plus grand nombre possible de lecteurs ; l'imprimé devient un produit, une marchandise que les producteurs cherchent à écouler dans des quantités toujours plus importantes. En France livres et journaux commencent à voir leur diffusion augmenter dès la Monarchie de Juillet, en 1839, on entend déjà parler de « la littérature industrielle ». C'est pourtant le dernier tiers du XIXème siècle qui sera le plus riche en mutations, dès la décennie 1860 le phénomène est accéléré, on peut noter dans ce cadre la naissance en 1863 du Petit Journal qui incarnera cette presse populaire avide de scandales et faits divers pour appâter le plus grand nombre de lecteurs. Triomphante au tournant du siècle, la nouvelle offre culturelle peine à rebondir après la guerre, la Première Guerre Mondiale marque en effet un coup d'arrêt dans l'émergence de cette nouvelle culture, l'Etat reprenant le contrôle des publications et mettant l'imprimé au service de la propagande de guerre. La modernisation sociale et politique désigne le passage de sociétés d'Ancien Régime aristocratiques à des sociétés plus ouvertes socialement, largement industrialisées où la mobilité sociale devient possible. Cette modernisation accompagne le processus de constitution d'Etats-nation en Europe occidentale ainsi que la sécularisation progressive des sociétés. L'imprimé est envisagé en tant que vecteur, c'est-à-dire support de la transmission, de ces changements qui affectent les pays d'Europe occidentale dans la période 1850-1914, et on s'interroge quant au rôle de celui-ci dans la manière dont est perçue et acceptée la culture.
On peut se demander alors quelles ont été les répercutions sur les sociétés occidentales de cet accroissement spectaculaire de l'offre d'imprimés et si cette inflation de livres et journaux a servi la cause du progrès en matière d'avancées sociales et politiques. L'entrée des sociétés occidentales dans ce qu'on a appelé par la suite « la culture de masse » a-t-elle joué un rôle déterminant dans la mutation des sociétés concernant les revendications sociales et les questions politiques ? Ces livres et journaux qui circulaient au sein des populations, notamment les plus modestes et qui n'avaient pas accès à la lecture auparavant, ont-ils modelé une culture populaire propre et nourrit des aspirations nouvelles à plus de justice sociale et à plus de démocratie dans le domaine politique ?
L'imprimé a été à l'origine d'un très ample processus d'acculturation et d'homogénéisation culturelle des sociétés, processus qui a été critiqué dès le départ comme étant abêtissant et dangereux pour l'ordre social, une « mauvaise culture », néanmoins, le développement de l'imprimé n'a pas révolutionné pour autant les modes de vie ni les conditions sociales et politiques laissant deux mondes coexister, celui des élites et celui des masses populaires.
[...] L'imprimé a été un vecteur capital dans la démocratisation de la lecture et l'accès aux informations, ce qui en soi est un signe de modernisation aussi bien sociale que politique. La lecture, auparavant réservée à l'élite intellectuelle, cultivée et ayant les moyens d'acheter des ouvrages coûteux, devient accessible aux classes plus modestes grâce aux progrès techniques en matière de production des ouvrages. L'apparition de la presse à vapeur puis de la presse à rotatives permet des tirages beaucoup plus importants des journaux ; le papier devient également moins onéreux grâce à sa technique d'élaboration à partir du bois et non plus à partir de chiffons. [...]
[...] Le journal quotidien est certainement le symbole de ce triomphe de l'imprimé dans la seconde moitié du XIXème siècle et dans le début du XXème, la période 1850-1900 est considérée comme étant l'âge d'or de la presse imprimée. La presse populaire se développe, presse à un sou dont le prix de 5centimes explique l'essor. A partir de 1860, les journaux sont vendus à l'unité et non plus par abonnement annuel. Le Petit Journal est crée en 1863 et passe à 467000exemplaires en 1869. La voie vers le million de tirages est ouverte, que le quotidien de Millaud, surnommé le Millaunaire atteint en 1891. [...]
[...] L'inquiétude de l'irruption de ces barbares sur la scène culturelle et de ses conséquences politiques et sociales voit le jour. Littérature à la portée des épiciers le roman-feuilleton est indéniablement porteur d'une dynamique démocratique par l'ampleur du phénomène et l'engouement qu'il suscite auprès de ces franges de la population nouvellement initiées à la lecture. Certains comme Louis Desnoyers, rédacteur au Siècle, voient dans le roman-feuilleton un incontestable progrès et un nécessaire contrepoids à ce que les esprits sérieux ont appelé les intérêts positifs il constate aussi que tous les français sont égaux devant la littérature comme devant la loi L'impact de cette culture populaire de masse serait très important et porteur de troubles sociaux témoignant des remous que suscite au sein de la société l'essor de l'imprimé. [...]
[...] Il y a en France deux peuples, non par différences de fortunes, mais, ce qui est pis, par différence d'éducation et d'esprit constatait Jules Michelet en 1833. Ce constat se révèle encore d'actualité même après la généralisation de la lecture et des journaux car les journaux populaires ne sont pas les mêmes que ceux des classes dirigeantes. Les quotidiens tels que Le Matin ou le Petit Journal s'accompagnent de suppléments illustrés, de plus avec les journaux vendus à l'unité, chaque numéro doit attirer le lecteur et le moyen employé est le recours aux premières pages illustrées, n'apportant aucun supplément d'information mais captant l'attention du badaud. [...]
[...] Beaucoup estiment alors une réaction nécessaire, à l'exemple de Charles de Rémusat, qui en appelle à une littérature de résistance L'irruption de l'imprimé pouvait être synonyme d'intégration sociale et d'homogénéisation culturelle, nous l'avons vu, mais en insérant des individus plus épanouis et mieux informés dans les espaces publics où se négocie en permanence le lien collectif, la culture dite de masse a aussi œuvré pour la démocratie .Les interminables discours sur la culture populaire montrent toute la profondeur de la démocratisation qui affecte alors le pays. L'évolution juridique en matière de presse vise à obtenir un statut moins restrictif que celui hérité des régimes censitaires et des monarchies constitutionnelles. La liberté de la presse n'était pas encore acquise malgré certaines évolutions, les journaux restaient soumis à des conditions qui en restreignaient l'exercice. Les charges financières imposées, dépôt d'un cautionnement, droit de timbre élevé, sont autant de limites à la liberté de la presse. L'évolution démocratique dans tous les pays abolit ces contraintes. [...]
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