A l'heure où la Yougoslavie a disparu des cartes ainsi que du vocabulaire géopolitique, il est difficile de comprendre cette volonté d'union, la construction d'Etat commun rapidement dépassé par les réalités ethniques, les crises, les guerres et même le nettoyage ethnique. La Yougoslavie n'a jamais été une nation, comme le sont la plupart des pays européens. Il n'y avait pas une seule langue, une histoire commune ou encore un sentiment national. Pourtant, la Yougoslavie était fondée sur cette idée yougoslave (« Yougo » signifie sud ; yougoslave évoque donc les Slaves du Sud, mais tous les Slaves du Sud ne sont pas yougoslaves, par exemple les Bulgares.), c'est-à-dire sur l'opinion que les différences linguistiques ou religieuses séparant les peuples Slaves du Sud étaient minimes et ne devaient pas empêcher une vie commune.
L'idée yougoslave présuppose une certaine conception de la nation, mais y a-t-il eu une seule et unique conception de cette union des Slaves du Sud ? Ne pourrait-on pas plutôt parler de plusieurs idées yougoslaves répondant à différentes conceptions de la nation ce qui expliquerait en partie les différentes « Yougoslavies » qui ont vu le jour, et peut-être même son éclatement à la fin du XXe siècle ?
Nous verrons ainsi dans un premier temps que l'idée yougoslave fut le fait d'une classe politique éclairée et que la première Yougoslavie, conçue comme un royaume unitaire, minimisa les diversités qui constituaient pourtant l'élément clef. La Yougoslavie, issue de la guerre, du maréchal Tito se construisit ensuite sur la base d'une critique de la précédente expérience et reprenant le modèle fédéral exacerba les différentes nationalités. Mais à la mort de Tito, seul lien entre les nouveaux Etats national-communistes, la crise éclata et avec elle l'idée yougoslave s'effrita et finit par disparaître de tout programme politique voire même culturel.
[...] Il n'y pas eu une idée yougoslave unique. Il y a eu d'ailleurs plusieurs Yougoslavies et d'autres formes d'union étaient et restent possible. A l'unitarisme de la première Yougoslavie fit suite le fédéralisme de la Yougoslavie de Tito, puis le démembrement progressif eu raison de cet Etat multinational et multiconfessionnel. Cette construction multinationale aurait très bien pu réussir si elle n'avait heurté de plein fouet l'ethnogenèse nationale des peuples croates et serbes, lesquels ont surtout cherché à instrumentaliser cette construction étatique yougoslave pour asseoir leurs rêves d'affirmation nationale voire d'hégémonie balkanique. [...]
[...] Aujourd'hui, l'espace ex-yougoslave est à nouveau à la croisée des chemins : entre affirmations nationalistes et introspections identitaires, entre guerres balkaniques et perspective européenne. Mais ce chemin qui mène à l'Europe, et qui semble si chaotique, est nécessaire pour apprendre à construire un avenir commun et à revivre ensemble. Bibliographie Idée yougoslave et Yougoslavie de 1878 à 2006 Ouvrages généraux HERMET Guy, Histoire des nations et du nationalisme en Europe, Paris, Le Seuil CASTELLAN Georges, Histoire des Balkans : XIVe-XXe siècle, Paris, Fayard Ouvrages spécialisés GARDE Paul, Vie et mort de la Yougoslavie, Paris, Fayard BIANCHINI Stefano, La question yougoslave, Paris, Casterman BATAKOVIC Dusan T., Yougoslavie : nations, religions, idéologies, Lausanne, Age d'Homme SAMARY Catherine, La déchirure yougoslave, Paris, Harmattan SANGUIN André-Louis et CATTARUZZA Amaël , L'ex-Yougoslavie dix ans après Dayton, de nouveaux Etats entre déchirements communautaires et intégration européenne, Paris, Harmattan, 2005. [...]
[...] Ce corps, seul héritier du Royaume yougoslave, n'agissait pourtant que dans les régions habitées par les Serbes : il était ainsi dépourvu de tout yougoslavisme et d'emblée identifié à une seule nation. Mais l'idée yougoslave était défendue par un autre mouvement de résistance, ce dernier plus clandestin car inspiré par le Parti communiste yougoslave : les partisans ayant pour chef Tito (Josip Broz). Le mouvement des partisans ne se limitait pas à une seule nation mais était ouvert à tous les peuples de Yougoslavie, puisque le parti communiste prônait pour l'internationalisme et s'opposait au nationalisme grand-serbe Ainsi serbes, croates, slovènes, albanais, musulman, juif pouvaient résister ensemble au sein de la lutte armée menée par les partisans parce qu'elle incarnait un projet fédéraliste yougoslave qui s'opposait à la fois à la Yougoslavie unitariste à sa politique sociale et nationale d'une part ; et de l'autre parce qu'elle s'opposait à la construction d'Etats- nation ethniquement homogènes s'imposant par une politique fasciste. [...]
[...] Il s'agissait donc, non pas de rapports entre les ethnies, mais de logiques politiques. Mais l'idée yougoslave n'avait pas disparu de la sphère des négociations puisque jusqu juin 1991, les Slovènes et les Croates défendaient un projet confédératif où de fait n'existait plus d'Etat commun (les armées étaient séparées, les monnaies distinctes ainsi que les représentations internationales). Slovénie et la Croatie défendaient donc un projet confédéral menant à terme au démantèlement de la Yougoslavie Quant à lui, le pouvoir serbe rejetait ce projet le considérant comme inacceptable tant que les frontières des nouveaux Etats ne seraient pas retracées. [...]
[...] En novembre 1914, les représentants politiques des Slaves du sud de l'Empire austro-hongrois ayant choisi d'émigrer fondèrent le Comité yougoslave (constitué formellement le 30 avril 1915 à Paris) soutenant l'unification des Serbes, Croates et Slovènes. Malgré des divergences sur la conception du futur État yougoslave (centralisme ou fédéralisme), le gouvernement serbe et le Comité yougoslave signèrent le 20 juillet 1917 la déclaration de Corfou, dans laquelle ils définissaient les contours de cet Etat : il devait s'agir d'une monarchie parlementaire sous la dynastie des Karadjordjevic qui aurait pour nom le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. L'égalité des alphabets cyrillique et latin et la liberté des confessions catholiques, orthodoxe et musulmane y seraient reconnues. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture