Le débat entre histoire et mémoire semble intarissable tant les articles à son sujet sont fréquents. Il est primordial de définir les deux termes en présence avant toute analyse. Histoire vient du grec ???? qui signifie l'enquête, la recherche, tandis que mémoire vient du latin memoria qui signifie la mémoire des faits, le souvenir rapporté. Cependant, les deux mots sont souvent mis en rapport, voire confondus. L'histoire apparaît souvent comme une discipline de mémoire, et la mémoire, dans ce contexte, comme un patrimoine mental, un ensemble de souvenirs qui nourrissent des représentations et peuvent inspirer des actions présentes. Pour Pierre Nora, dans les lieux de mémoire (1984), « loin d'être synonymes, tout les oppose ». Il est vrai que l'on s'aperçoit, même à ce stade primaire de l'analyse, que l'histoire s'adresse plutôt à l'intellect et la mémoire à l'affect. Nora poursuit en explicitant la problématique de la temporalité : « l'histoire est la reconstruction toujours problématique et incomplète de ce qui n'est plus. La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel ; l'histoire, une représentation du passé. » Il s'agit de réfléchir sur ces problématiques, en s'attardant surtout sur les liens entre histoire et mémoire, leurs rapports conceptuels, en se plaçant du point de vue de l'histoire. Il s'agit en fait d'étudier dans quelle mesure l'histoire participe de ou à la mémoire, dans quelle mesure elle l'utilise. C'est réellement la question du statut de l'histoire en tant que science qui est ici posée en filigrane. Afin de tenter d'étudier cette question de la manière la plus complète possible, il convient d'analyser tout d'abord les statuts épistémologiques différents des deux concepts, puis leur lien d'interdépendance, et enfin la distanciation que l'histoire souhaite opérer face à la mémoire.
[...] Si l'histoire est plus intellectuelle que la mémoire, elle plus affective, les deux concepts enregistrent d'autres distinctions épistémologiques qu'il convient d'expliciter, notamment concernant le domaine social et le critère de scientificité. La mémoire a une forte influence sociale. Pour Halbwachs, la mémoire est toujours collective puisque la mémoire individuelle est toujours donnée dans un cadre social déterminé. Cette mémoire collective est inscrite dans le corps social, dans ses rites, mais aussi à travers des images, des mythes, des références partagées. Mais cette mémoire collective n'est pas simplement un phénomène spontané. Elle ne se maintient en vie que par le concours de la volonté et de l'action humaines. [...]
[...] Cependant, la mémoire crée tout autant l'histoire. De prime abord, en effet, l'histoire apparaît comme une mémoire systématisée, bien rangée. On connaît le passé par la mémoire. C'est, en tout cas, la thèse des historiens antiques, soit la première fonction de l'histoire. Pour Hérodote, il s'agit de faire de l'histoire pour empêcher que le passé des hommes ne s'oublie avec le temps et éviter que d'admirables exploits, tant du côté des Grecs que de celui des Barbares, perdent toute célébrité. [...]
[...] L'histoire est alors instrumentalisée dans cette demande de sens que somme la mémoire. C'est ainsi que l'on assiste à des choses ubuesques, telles que la commémoration du baptême de Clovis pour origine historique de la France. Or le fait de revenir à des origines procède toujours de la mythologie. L'origine d'un pays comme la France n'est possible à donner que dans un point de vue précis. Ainsi, la conquête romaine nous donne les bases de notre langue, la conquête franque le nom du pays etc. [...]
[...] L'histoire s'attache au monde matériel et quantifiable. La mémoire retient les traces que les événements laissent dans l'esprit des individus. Ces dernières sont plus difficiles d'accès et leur vérification est peu aisée. L'histoire délaisse donc ceux qui ne sont pas vérifiables, alors que la mémoire peut les intégrer. La mémoire sélectionne ce dont elle veut parler et ce qu'elle préfère oublier, l'histoire doit tout évoquer. Mais elle intègre la mémoire en tant qu'exemplification de ce qu'elle veut démontrer. L'histoire exprime le fait général, le mémoire le montre (dans la mesure où l'histoire a sélectionné un fait mémoriel et le traite avec l'œil de l'histoire). [...]
[...] (Histoires). Ainsi, pour celui que l'on considère comme le fondateur de l'histoire, l'histoire est un travail de mémoire, de lutte contre l'oubli. On constate le même phénomène à Rome où le genre historique naît de la tradition du prodigium procurare (réparer la faute à l'origine du prodige) pour rétablir la pax deum (harmonie avec les dieux). A cette occasion, le grand pontife dressait la liste des prodiges à chaque fin d'année on les gravait sur des tablettes qu'on laissait à l'entrée de la curie-. [...]
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