Dans le texte extrait de son livre L'économie britannique et le Blocus Continental, François Crouzet réfute les thèses répandues en histoire selon lesquelles la supériorité de la Grande-Bretagne sur la France napoléonienne lui vient de son avance technique et économique : « Dans la conduite de la dernière guerre, nous fûmes puissamment assistés par nos machines à vapeur, qui nous rendirent capables de disposer d'une quantité prodigieuse de produits étrangers et de travail étranger » écrivait Malthus qui s'émerveillait alors de « l'augmentation de la richesse nationale qui s'est produite pendant les trente ou quarante dernières années ». Or, Crouzet démontre le peu de contributions réelles et quantifiables de ce que l'on appelle la Révolution Industrielle à la victoire de l'Angleterre ; il introduit les facteurs fiscaux et financiers, selon lui plus importants que l'augmentation effective de la production, et, enfin, il met en exergue des facteurs plus profonds, évoquant une « avance britannique globale » progressive et de long terme. « Ce n'est pas la machine à vapeur qui a vaincu Napoléon. »
[...] Pour retrouver la confiance perdue du peuple il fallait réorganiser les finances, ce que tentera Napoléon par un certain dirigisme. Les économistes français sont convaincus des faiblesses du système anglais ; une économie qui repose sur le crédit et l'exportation, une agriculture insuffisante à nourrir le pays. De cela découle logiquement que si on empêche les anglais de commercer, leur économie ne pourra le supporter. Sans moyen de s'approvisionner en matières premières nécessaires aux chantiers navals, sans les importations de céréales de France et d'Allemagne, et surtout sans débouchés commerciaux, il ne pouvait en résulter que famine, chômage et troubles populaires. [...]
[...] On voit sur le graphique page 5 qu'en 1815, les taxes constituent presque 50% du produit national, soit le double d'en 1795. Les recettes d'impôt passent de 20 à 65 millions de en 20 ans. Ces recettes peuvent être décomposées en trois types d'impôt. Les droits de douane augmentent avec le volume d'importation ; ils triplent dans cet intervalle, mais leur part dans les recettes fiscales y est la plus réduite. La taxe foncière connaît alors le plus fort accroissement ; ce facteur fixe peut être taxé plus lourdement sans risque d'élasticité de la demande et de la production. [...]
[...] Quels peuvent donc avoir été les autres facteurs déterminants dans la puissance anglaise ? Une caricature de l'époque des French Wars perce le mystère de la continuité de la suprématie britannique. L'Etat a mouliné sa population pour en tirer l'or dont il a besoin, au grand dam des cotisants en question Au meurtre, au meurtre ! s'écrie un personnage ventripotent dont on tire des pièces d'or, citoyen peu conscient de son devoir de servir le roi George III et son pays. La planche dénonce l'augmentation forte et brutale de la taxation. [...]
[...] Il en résulte l'instauration d'un système d'inspiration parlementaire, une monarchie limitée dans laquelle le Parlement détient la suprématie dans plusieurs domaines de décision notamment le budget. Le facteur politique et idéologique est ici fondamental. Le nouveau cadre institutionnel donne à l'Etat une nouvelle légitimité. L'idéologie qu'il défend et promeut est celle d'une inviolabilité des droits de propriété, des libertés individuelles, dans un cadre juridique. La sécurité économique est garantie ; l'Etat est tenu par ses obligations financières, l'économie de marché est possible grâce à son intervention. Dès lors, la voie est ouverte à la libre entreprise, à l'innovation, à la recherche du profit. [...]
[...] Finalement, la phrase de Crouzet Ce n'est pas la machine à vapeur qui a vaincu Napoléon pose le problème du progrès technique et de ses impacts réels, à court terme, comme le fera Solow à propos des ordinateurs. Ici, la machine à vapeur, si elle a participé à la suprématie anglaise, n'est pas suffisante à l'expliquer. D'autres domaines particulièrement développés en Grande-Bretagne y ont eu une plus grande part ; le système fiscal et financier anglais. C'est l'union de ces facteurs qui a fait la totale suprématie anglaise. [...]
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