L'histoire rurale est l'un des parents pauvres de l'historiographie italienne du XIXème siècle et le fait peut surprendre, car l'Italie est assurément une société profondément rurale à l'aube du XIXème siècle, et l'est encore à l'issue de votre programme : à la veille de l'Unité, l'agriculture italienne est la principale activité économique de la nation ; elle occupe 70% de la population active (contre 18% dans l'industrie et 12% dans les activités tertiaires) ; et elle représente 57% du PNB contre 20% pour l'industrie et 23% pour les activités tertiaires (Candeloro, V, 28) ; au lendemain de la première guerre mondiale, l'agriculture italienne occupe encore 55% de la population active contre 43% en France et 35% en Allemagne (Milza, 20).
Cela tient d'abord à la rareté et la fragmentation des sonnées statistiques. Celles-ci sont très ponctuelles avant l'Unité, dans le cadre des anciens Etats italiens. Alors que les premières grandes Enquêtes agricoles françaises datent de 1836 et de 1852, il faut attendre 1877 pour que soit lancée, à l'initiative d'un grand notable de la Lombardie (le comte Stefano Jacini), la première grande Enquête agricole, conduite sur une base régionale de 1877 à 1885, sans aucune perspective sociale, et sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir plus avant. La question paysanne a longtemps été une question à haute tension sociale et politique ; et ce n'est sans doute pas un hasard si le premier grand historien des campagnes italiennes du XIXème siècle, Emilio Sereni (1907-1977), auteur d'une admirable Histoire du paysage rural italien, traduite en français et qu'on ne saurait trop vous conseiller de parcourir, est aussi dans l'après-guerre l'un des dirigeants du PCI et l'un des théoriciens de la réforme agraire. En fait, il faut attendre les dernières décennies du XXème siècle pour que se dégage une histoire rurale démarquée des questions politiques et essentiellement influencée par des perspectives économiques mais aussi écologiques, dont témoigne la monumentale Histoire de l'agriculture italienne (1989-1991) en trois volumes dirigée par Piero Bevilacqua (...)
[...] A l'aube du Risorgimento, résurrection II) Le caractère tardif et incomplet de l'abolition de la féodalité constitue le second caractère distinctif des campagnes italiennes à l'aube du XIXème siècle qu'on voudrait ici souligner. Les caractères originaux des campagnes italiennes à l'aube du XIXème siècle conduisent d'abord à insister sur l'archaïsme des structures agraires : la propriété paysanne est encore très minoritaire ; les modes d'exploitation des terres obéissent à des logiques précapitalistes, qui conservent de nombreux traits de l'organisation de l'Ancien Régime ; la société rurale est marquée par l'extrême inégalité des statuts et des conditions. [...]
[...] La terre en Italie n'est pas paysanne. La prédominance de la propriété urbaine, d'origine aristocratique, nobiliaire et bourgeoise, explique très largement la prédominance, sous des formes régionalement très diverses, de modes de faire-valoir du sol qui empruntent encore beaucoup de leurs traits à l'Ancien Régime. Les formes de rentes sont ainsi de plusieurs sortes : rentes en argent, rentes en nature et rentes en travail ; et la gestion de l'exploitation est confiée à un agent général qui représente le propriétaire et constitue un intermédiaire entre le paysan et le rentier du sol. [...]
[...] L'abolition des droits féodaux fut opérée sous le règne de Charles- Albert par la charte royale du 17 décembre 1835, par l'édit royal du 21 mai 1837 et par la charte royale du 11 décembre 1838 ; l'abolition donne droit à une compensation au bénéfice des anciens feudataires, à la charge des communes. La législation sarde est réunie dans un seul Code en 1828 par le roi Charles-Félix. Enfin, le 20 novembre 1847, la législation du Piémont est introduite en Sardaigne : l'unification administrative est achevée. L'archaïsme social et politique de la société rurale du Mezzogiorno s'enracine dans ces ferments encore actifs de féodalité. [...]
[...] Ce n'est que dans les montagnes et surtout dans le Sud, le Mezzogiorno de la péninsule et des deux îles de Sicile et de Sardaigne, qu'existent de vastes régions rurales presque dépourvues de villes importantes, à l'écart de la civilisation urbaine dominante du Nord et du Centre de l'Italie ; et ce n'est donc pas un hasard si le grand romancier du monde rural du second XIXème siècle, Giovanni Verga (1840- 1922), qui appartient à l'école vériste c'est-à-dire naturaliste, est sicilien et situe l'action de tous ses romans dans le Sud : Maestro Don Gesualdo (1889). Un monde dominé, d'une part ; et une historiographie parcourue d'horizons sociaux et politiques antagonistes, d'autre part : voilà ce à quoi nous introduit l'histoire des campagnes italiennes au XIXème siècle. [...]
[...] Piero BEVILACQUA (dir.), Storia dell'agricoltura italiana in età contemporanea, Venezia, Marsilio, 1989- volumes. I Spazi e paesaggi XXIV-803p. II Uomini e classe XXXI-893p. III Mercati e istituzioni XI-1020p. Étienne DALMASSO, Pierre GABERT, L'Italie, Paris, PUF, Magellan 271p. Maurice LE LANNOU, Pâtres et paysans de la Sardaigne, Tours, Arrault 364p.-XXXVIpl. [...]
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