Quel est le fait historique qui vous paraît le plus important pour comprendre l'Espagne
contemporaine ? ” 57% des personnes interrogées en 1983 ont répondu “ La guerre civile ” a
cette question du magazine Cambio 16. Point de basculement de l'histoire espagnole, celle-ci
cristallise la fracture entre l'Espagne “ rouge ” et l'Espagne “ noire ”, magnifiée dans la
croisade anticommuniste et le Grand soir révolutionnaire. Toutes deux ont fondé leur combat
sur le sursaut national du “ peuple en armes ”. Pour les républicains, il renouvelle l'émergence
et la mobilisation spontanées du peuple lors de la guerre d'indépendance devant l'envahisseur
français et souligne la diversité d'expression des personnalités régionales. La mémoire
nationaliste puise aux mêmes sources pour en retenir la croisade des partidas de guerrilleros
conduites par les prêtes au nom de la religion, la patrie et la tradition, sous la bannière du Christ-
Roi. Cet affrontement idéologique et fratricide fait ressurgir pour chaque camp le combat du Bien
et du Mal dont les exactions commises par l'adversaire sont une nouvelle incantation. Exalté par la propagande, il en fait une guerre moderne et totale, préfigurant la seconde Guerre Mondiale :
elle utilise affiches, presses et, pour la première fois, actualités cinématographiques et radio… ;
elle mobilise l'élite intellectuelle nationale : les poètes Antonio Machado et Rafael Alberti¸
l'écrivain catholique progressiste José Bergamin, les peintres Pablo Picasso et Juan Miro… ont
rejoint les rangs républicains, le compositeur Manuel de Falla, le poète Eugenio d'Ors,
l'écrivain Pio Baroja ont rallié les nationalistes.
[...] La participation à la guerre d'Espagne de ces volontaires fut comptabilisée dans le service de défense nationale italienne, et il en fut de même des Allemands. La contribution de ces derniers fut moins importante numériquement, mais les soldats d'élite de la Légion Condor, crée pour l'occasion en novembre 1936, furent un instrument clef dans la mise en pratique de la guerre moderne. La bataille de Catalogne n'a-t-elle pas été la première offensive motorisée, la guerre dans son ensemble un terrain d'essai des matériels modernes, une répétition générale du conflit mondial ? [...]
[...] C'est la guerre de l'espoir chrétien et espagnol contre le matérialisme marxiste Les soldats nationalistes sont les croisés du Christ et de l'Espagne. Sur le plan politique, le régime mit longtemps à être défini, en raison notamment de la disparition de ceux qui auraient pu participer à son élaboration, les monarchistes Calvo Sotelo et Sanjurjo et le phalangiste Primo de Rivera. Aussi les généraux instaurèrent-ils à titre provisoire l'état de siège dans les régions qu'ils contrôlaient pour assurer l'ordre sur leurs arrières : répression violente à l'encontre des forces de gauche, épuration, justice d'exception, censure, suspension des libertés syndicales et politiques Sur ces bases, Franco assura son hégémonie au sein de l'appareil étatique dictatorial et parafasciste en voie d'élaboration. [...]
[...] Idéologie et élaboration politique de chacune des deux Espagnes Les illusions d'une victoire rapide étaient mortes avec la bataille de Madrid. Aussi, chacun des deux camps se soucia-t-il d'organiser l'arrière, ce qui entraîna la constitution de deux Etats antithétiques, convaincus d'incarner la légitimité nationale. Du côté républicain, la première illusion lyrique et populaire, pou reprendre le mot de Malraux, avait conduit à l'émiettement du régime. De multiples comités-gouvernements - ces juntes révolutionnaires spontanées, formes modernes du cantonalisme du XIXe siècle, qui émanaient du peuple en armes et des organisations ouvrières s'étaient attribués tout le pouvoir, dépouillant le gouvernement de José Giral, son troisième chef en quelques jours, de toute autorité et représentativité, compte tenu de l'effacement des partis de la Gauche bourgeoise ; monument d'inactivité selon Frank Borkenau, il se borna à légitimer et à légaliser le sursaut révolutionnaire. [...]
[...] Le 21 septembre, Franco fut choisi comme nouveau général en chef : responsable des troupes les plus efficaces, il était respecté sans être l'homme d'un camp. Le 28, il était désigné comme chef du gouvernement de l'Etat espagnol installé à Burgos, ce pour la durée de la guerre. C'est lui-même qui, le 1er octobre, s'autoproclama chef de l'Etat, mettant fin aux espoirs des monarchistes. En dépit de sa propre indifférence religieuse, le général Franco fut conduit par l'adéquation ibérique entre catholicisme et conservatisme à chercher dans l'Eglise l'assise idéologique du régime, confortant ainsi son optique contre-révolutionnaire aux dépens de la référence phalangiste laïque et révolutionnaire. [...]
[...] Pourquoi la guerre ? C'est d'abord l'armée qui a préparé et déclenché le Mouvement même si elle y a été encouragée par des hommes politiques, tel José Calvo Sotelo, ou par des leaders phalangistes. Les généraux regroupés dans l'Union militaire espagnole : Goded, Orgaz, Barrera, Fanjul, Villegas, inspirés depuis Lisbonne par Sanjurjo exilé à la suite de l'échec de sa conspiration, avaient trouvé en Emilio Mola un organisateur et un animateur de talent. La rébellion de l'armée n'est pas pour l'essentiel une fronde antirépublicaine, même si de nombreux officiers sont restés monarchistes ; d'ailleurs, Mola voulait mettre en place une dictature républicaine et maintenir la séparation de l'Eglise et de l'Etat. [...]
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