Frontière, Etats-Unis, conquête de l'Ouest, XIXe siècle, F.J. Turner
La traduction du mot anglais « frontier » n'est pas satisfaisante, car le terme « frontière » ne rend pas compte de la dimension dynamique originelle. Or celle des États-Unis au XIXe siècle n'a rien de statique puisque le territoire fédéral atteint la quasi-totalité du continent nord-américain après la guerre de Sécession. D'ailleurs, les Américains ne parlent pas d'une fixation de la frontière, mais d'une « fin de la frontière » en 1890. Le processus d'expansion territoriale qui s'achève à ce moment-là constitue ce qu'on appelle la « conquête de l'Ouest », il est l'un des piliers de l'affirmation de la jeune République fédérale.
[...] Cela débute en 1823 avec la doctrine Monroe qui exclue l'Europe du continent américain, chasse gardée des États-Unis. Cette idéologie qui soutient ce qu'il faut bien appeler des guerres d'expansion sera prolongée par la destinée manifeste évoquée dans la presse dans les années 1840. Cette fois le pas est franchi : le peuple américain n'est pas seulement différent et libre, il est aussi supérieur et élu de Dieu. La civilisation américaine doit se répandre sur toute la partie nord du continent pour le bien de l'Amérique, mais aussi des Indiens et du monde. [...]
[...] Les avancées du front pionnier sont bien sûr rythmées par les guerres, les négociations et les choix stratégiques, mais elles marquent aussi durablement les esprits au point d'entraîner la naissance d'un véritable mythe de la frontière auquel le peuple américain s'identifie aujourd'hui encore. En somme, la conquête de l'ouest est au cœur de l'affirmation réussie de la Nation américaine sur le plan matériel et idéologique. Il existe une lecture conservative et américaine de cette partie de l'histoire qui s'attache à montrer que l'expansion territoriale permet l'avènement d'un pays moderne et libéré de la tutelle matérielle et idéologique européenne. On peut aussi considérer qu'à peine sortie de l'Empire britannique, la jeune Nation étatsunienne a commencé à construire le sien. [...]
[...] Cette première conquête de l'ouest est une réussite : en 1825, les États-Unis rassemblent vingt-trois États. Ils sont parvenus en une vingtaine d'années à la maîtrise de ce qu'ils voient comme leur territoire d'origine les Indiens ne connaissant pas les notions de propriété de la terre et de frontière légale. Mais déjà pendant cette première conquête de l'Ouest s'installe l'idée que la frontière américaine ne connaît pas de limite. Dieu donne les terres vierges au peuple américain, puis il leur cède les terres indiennes, pourquoi ne leur confierait-il pas les possessions européennes et mexicaines d'Amérique du Nord ? [...]
[...] Le peuple américain serait entrepreneur, épris de liberté, dynamique, avide de nouveaux défis et individualistes. Cet idéal de l'homme indépendant s'incarne d'abord dans les figures de Davy Crockett ou de Kit Carson, elle sera ensuite répandue par John Wayne et les égéries de films grand public. Très vite, ces normes morales sont considérées comme constitutives de la société américaine et F.J. Turner présente une théorie de l'histoire américaine vue à travers les progrès du front pionnier dès 1893. Pour lui, l'année 1890 marque la fin de la frontière qui ne progressera plus et donc la fin d'un idéal de société bâtie sur l'illusion d'un territoire illimité à conquérir. [...]
[...] Il existe un mythe de la frontière au cœur de l'identité américaine, on le retrouve encore aujourd'hui dans les discours, les arts et les mentalités. Après l'avoir définie, on montrera que la pensée de la frontière comporte une bonne part du fantasme. Elle reste cependant bien vivante à travers les liens étroits qu'elle entretient avec l'impérialisme dont la conquête de l'ouest est une première expression. Grâce aux spectacles du XIXe siècle et aux Westerns du XXe, le monde entier maîtrise à présent les codes de l'imaginaire de la frontière si cher aux Américains. [...]
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