« La France, hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'Humanité, sera toujours soldat de l'idéal » s'exclamait en 1918, au lendemain de la victoire de la France sur l'Empire allemand, le « père la victoire » Georges Clémenceau. Glorifiant la victoire, dont le coût en vies humaines (1 300 000 morts côté français) a été extrêmement élevé, le président du Conseil reflète bien les aspirations d'une France qui veut avant tout tourner la page de la « Grande Guerre » et revenir à l'âge d'or d'une « Belle Epoque » largement mythifiée. Cet espoir de faire table rase des conséquences traumatisantes de la « der des der » et de faire reprendre à la France sa place au tout premier rang des nations se révèle être définitivement une illusion lorsqu'en 1940 le maréchal Pétain annonce qu'il va demander la signature d'un armistice avec le IIIè Reich.
De Rethondes à Rethondes, d'un armistice à l'autre, comme la France a-t-elle évolué ? Guidée par l'illusion d'un rang de premier choix dans un « monde européen » (S.Berstein & P.Milza) qui n'existe plus, la France semble de toute évidence se fourvoyer dans ses décisions de politique économique et extérieure, de 1918 à 1940. L'illusion, c'est aussi celle de pouvoir effacer les traumatismes de la Grande Guerre, qui se retrouvent tout au long de la période, tant du point de vue démographique que culturel, expliquant en partie la « débâcle » de 1940. C'est donc globalement face à une France en crise que l'on se retrouve, à l'échelle de l'entre-deux-guerres, illustrée par l'anti-parlementarisme mais aussi par le passage pour la France d'une chambre « Bleu horizon » au Front populaire, signe que les Français cherchent dans chaque bord politique une solution qui ne vient pas. Face à l' « étrange défaite » (M.Bloch), le maréchal Pétain dénonça l' « esprit de jouissance » de ces années, signe que le passage du Traité de Versailles à l'entrevue de Montoire, d'un extrême à l'autre, peut au moins en partie s'expliquer par une analyse de la France de 1918 à 1940.
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Les problèmes économiques de la France apparaissent comme une véritable constante de la période 1918-1940. De même que le Gold Standard Act apparaît de l'autre côté de la Manche comme la volonté de redorer le lustre de la prestigieuse Livre Sterling, la France s'affecte beaucoup de la perte de stabilité du Franc Germinal qui doit être dévalué à de multiples reprises, notamment lors de la spectaculaire dévaluation des 4/5 de Poincaré en 1925. La Grande Guerre est également le moment de l'apparition en France de l'inflation, mal endémique que les gouvernements de tous bords tentent d'endiguer. La France connaît bien sûr une forte croissance économique lors des années vingt, mais celle-ci n'a en fait pu être possible que grâce à la reconstruction, financée en partie par des capitaux américains. La croissance, outre-atlantique, impressionnante des « Roaring Twenties » débouche sur l'arrivée de capitaux américains en grand nombre sur le sol français. La Grande Guerre n'en constitue pas moins une coupure dans l'histoire économique, la France est désormais, de même que les autres pays européens, fortement dépendante des Etats-Unis. L'indépendance économique de la France apparaît de toute évidence comme une illusion, que démontre bien l'importance des débats houleux autour des dette inter-alliées, qui se soldent en 1924 par le plan Dawes, le plan Young en 1928 et le moratoire Hoover en 1931.
[...] La France a donc connu, après le choc de la Première Guerre mondiale, une période de flottement, dans nombre de domaines, dû à une perte de repères, face à un monde qui change à toute vitesse et face à une Europe qui tente des expériences inédites, avec l'apparition de régimes communistes et fascistes mais aussi la tentative de maintenir une sécurité collective symbolisée par l'engagement de Briand à la SDN. Cette désorientation de la France est accentuée par l'intervention, notamment dans le domaine économique, d'Etats-Unis qui s'affirment de plus en plus comme la puissance dominante, en lieu et place du triumvirat France- Angleterre-Allemagne qui avait gouverné le monde du XIX7 siècle. La période 1918-1940 est donc avant tout celle d'une transition difficile et douloureuse vers la prise de conscience pour la France d'un monde qui a changé. [...]
[...] Ces illusions dans le domaine militaire s'accompagnent d'une adhésion au principe de sécurité collective de la SDN, qui montrera lui aussi très tôt ses limites. Aristide Briand, ministre français des Affaires Etrangères dans les années vingt, représente, en se faisant le promoteur de la Société des Nations, une France impliquée dans cet organisme censé préserver la sécurité collective ; une tentative qui connaît quelques succès dans les années vingt, mais qui se trouve dès 1929 très limitée, avec le repli sur eux des Etats et la montée des nationalismes consécutifs au marasme économique. [...]
[...] Le succès des ligues montre les faiblesses d'une démocratie libérale, qui a déjà trahi ses maximes libérales en intervenant dans l'économie et à laquelle on préfèrerait de plus en plus un régime fort. Face notamment à la crise économique, la France cherche en tous cas des solutions de chaque bord politique, ce qui aboutit à une alternance importante de la gauche et de la droite durant la période, passant d'une chambre Bleu horizon en 1919 au Front Populaire en 1936. [...]
[...] La division des Français entre Munichois et anti-Munichois y est assurément pour quelque chose, comme un reflet de l'importance des conflits politiques qu'a traversés la France au cours des deux décennies de l'entre-deux- guerres. Il peut paraître en effet, au regard des évènements, légitime de parler de crise de la démocratie libérale française. Le modèle politique français n'avait en effet jamais fait l'objet d'un consensus, et la période 1918-1940 se révèle de ce point de vue être une forte remise en cause des institutions parlementaires de la IIIè République, au lendemain d'une Union sacrée qui ne survit pas à l'année 1917. [...]
[...] Or, de premières fissures apparaissent déjà dans l'édifice colonial : la plus impressionnante manifestation en est la révolte d'Abd-El-Krim dans le Rif marocain, qui nécessite une sanglante pacification de près de dix ans. L'armée française, dirigée au Maroc par Pétain, parade sur les Champs- Elysée après la victoire et investit la Ruhr en 1923. Elle passe alors pour être la meilleure du monde. C'est en fait une illusion, que révèlera l'affrontement face à la Wehrmacht, dû en partie aux mauvaises décisions prises par l'Etat-major, critiqué par Marc Bloch dans L'Etrange défaite. [...]
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