En France, la méconnaissance du syndicalisme provient essentiellement d'une subordination hiérarchique peu ou prou contestée par des revendications plus qu'éparses et par un développement difficile rendu tardif par une vision intransigeante de la souveraineté nationale héritée de Sieyès selon laquelle il ne doit exister de corps intermédiaires entre le souverain et le peuple. La loi Le Chapelier du 24 juin 1791 avoue on ne peut plus la méfiance à l'égard des associations professionnelles en rappelant les principes du décret d'Allarde. Il faudra plus d'un siècle pour la démanteler : en 1864 la grève cesse d'être un délit, en 1950 elle cesse d'être une rupture du contrat de travail, en 1868 et 1881 c'est la tolérance puis la reconnaissance du droit de réunion, en 1884 le droit syndical pour les salariés du privé, en 1946 pour ceux du public, et en 1901 le droit d'association. Cette normativité syndicale provient d'un double processus de syndicalisme de métier traduit en syndicalisme industriel. Au XIX siècle, en effet, les compagnons voulaient faire reconnaître leur savoir-faire et le vendre à meilleur prix suivant l'utilisation d'une grille de qualifications comprenant des minima pour chacun des niveaux hiérarchiques et des barrières à l'entrée du métier utilisées comme numerus clausus. Le syndicalisme de métier est, en quelque sorte, l'héritier des corporations et des métiers francs du Moyen-Age qui pratiquait la libre association sur une base territoriale et contrôlait les embauches. Cette logique de métier a dominé le syndicalisme jusqu'au début du XX siècle et les fondateurs de la CGT en 1895 étaient presque tous délégués par des syndicats de métier. Le syndicalisme industriel n'a progressé par la suite qu'en intégrant une partie de la logique de métier. Les compagnons introduisent dans l'usine moderne leur tradition de l'action collective et fournissent au prolétariat industriel une structure corporatiste. En témoigne l'organisation de la CGT dès 1902. C'est un syndicat industriel utilitariste qui fournit à ses adhérents une coopération à même de résoudre les contentieux avec la hiérarchie patronale en engendrant une sorte de droit coutumier régissant le travail quotidien. Il s'agit d'une forme de mutualisme selon laquelle la genèse d'institutions propres assure la promotion de la condition salariale, même si elle ne récuse guère l'obtention concomitante de lois, comme l'illustre l'histoire de la protection sociale. Entre tenants du mouvement ouvrier et du mouvement syndical, cet aspect de l'activité salariale est parfois critiquée par le syndicat de métier en réaction à la politisation du syndicalisme industriel. Les tenants du mouvement ouvrier pensaient que les partis ouvriers et les syndicats partageaient, au fond, le même objectif d'émancipation de la classe ouvrière par des moyens complémentaires. Les historiens ont souvent adopté le même point de vue, parlant de mouvement ouvrier pour souligner la profonde parenté entre partis socialistes et communistes et syndicats . Les tenants du mouvement syndical insistent davantage sur les singularités du syndicalisme et son autonomie par rapport aux partis politiques qu'ils considéraient comme suspicieux. Avant 1909, ce courant dominait la CGT et avait inspiré la Charte d'Amiens du 13 octobre 1906. Au fond, l'Histoire a plutôt tranchée en faveur des premiers. Expliquons-nous.
La CGT de 1895, qui réunit des représentants de différents courants , peine à exister. Elle demeure concurrencée par la fédération des Bourses du Travail qui redoute que la CGT ne favorise, par son centralisme, une « dictature prolétarienne » . La mort de Pelloutier et le développement du syndicalisme industriel renforce la CGT lors du Congrès de Montpellier du 22 au 27 septembre 1902. Se précise alors la volonté d'indépendance de la Confédération face aux partis politiques et l'affirmation du principe de subsidiarité suivant l'adoption de l'article 37 des statuts : « La CGT, basée sur le principe du fédéralisme et de la liberté, assure et respecte la complète autonomie des organisations qui se seront conformées aux présents statuts ». Après unification des socialistes par la création de la SFIO en 1905 et l'échec de la grève générale de 1906 qui tendent à affaiblir les positions des anarcho-syndicalistes, la CGT rappelle le caractère autonome de son action et de son projet dans le IX Congrès de la Confédération Générale du Travail du 8 au 13 octobre 1906, qui se veut dans la continuité des positions affirmées par la CGT dès sa naissance. Ce Congrès s'est déroulé dans une école des faubourgs de la capitale picarde en rassemblant 350 délégués représentants 1040 organisations. Il est une instance qui se réunit en moyenne tous les trois ans. Fondé sur la démocratie représentative, le Congrès est un moment de débat entre les délégués syndicaux, élus par les syndiqués, qui fixent les grandes orientations de la Confédération et élisent la direction confédérale. La Charte, ou motion, d'Amiens du 13 octobre 1906, présentée par Victor Griffuelhes, confirme que la CGT lutte pour la disparition du prolétariat, indépendamment de l'existence de partis politiques. Elle accorde, en dehors du programme, l'entière liberté pour les individus de suivre telle ou telle corporation autre. Elle est adoptée par 830 voix pour, 8 contre et 1 abstention. C'est donc un texte de référence, plébiscité à 99%, qui cherche à dépasser des positions opposées au regard de l'affirmation de la force du syndicalisme révolutionnaire face aux différents courants socialistes qui souhaitent faire du syndicalisme la courroie de transmission de leur ambition politique : « Nous eûmes l'ambition de réaliser sur le terrain économique l'unité concrète de la classe ouvrière : plus de jauressistes, de guesdistes, d'allemanistes, d'anarchistes, rien que des syndicalistes marchant réconciliés au même combat de classe » .
Dans ce contexte, apprécier la spécificité du syndicalisme français au regard de la Charte d'Amiens revient à discuter du mouvement ouvrier, soit la genèse d'un syndicalisme moderne caractérisé par la connivence relative entre socialisme et syndicalisme (I), tandis que le mouvement syndical concrétise la prégnance du syndicalisme sur le socialisme (II).
[...] En 1891, il existe 39 bourses du travail qui ont pour objectif de former la classe ouvrière et sont définies comme un service de mutualité, d'enseignement et de propagande En 1892, la Fédération des bourses du travail est créée et préconise la grève générale. Cette volonté de grève générale conduit à la rupture d'une unité jusque là préservée lors du Congrès de Nantes de 1894, Congrès marqué par la pénétration des anarchistes dans le syndicalisme. Aussi, les socialistes refusent de collaborer avec des structures moins dynamiques. La Confédération Générale du Travail (CGT) est alors créée en 1895 par ce refus de coalition de Pelloutier. Elle fait paraître en 1900 La Voix du Peuple sous la direction de Pouget. [...]
[...] Soutenu par des réformistes et des anarchistes, il est adopté par 124 voix pour contre et 6 nulles. Mais le principe de l'indépendance absolue des syndicats envers l'Etat et les partis politiques avait déjà été adopté, d'une part en 1893, par la Fédération nationale des Bourses du Travail qui avait participé à la constitution de la CGT, et d'autre part lors du Congrès de Montpellier de 1902 disposant que : Nul ne peut se servir de son titre de confédéré [ ] dans un acte électoral politique quelconque Les statuts précisent que la CGT groupe les travailleurs conscients et non les citoyens : ils affirment ainsi la priorité du caractère de classe de l'organisation et son rôle révolutionnaire, le syndicat n'attendant rien du bulletin de vote. [...]
[...] La loi Waldeck-Rousseau concerne aussi les employeurs et conduit, en face des syndicats ouvriers, à la création de Chambres syndicales patronales. Les affrontements deviennent alors plus violents et marquent chaque année la célébration du 1er mai, ce qui conduit à des émeutes comme à Fourmies en 1891. La première négociation a lieu à Arras en 1891 même si elle n'a pas encore d'existence légale, le Code du Commerce de 1807 n'admettant que le contrat individuel. Les Bourses du travail sont une forme plus originale de groupement ouvrier. [...]
[...] En se définissant si précisément face à la politique, la Confédération oblige les partis politiques à se définir par rapport à elle. Sans rejeter le champ politique, la CGT targue fièrement : Nous savons quel est notre travail, faîtes le vôtre sans intervenir dans le nôtre La CGT se pose effectivement comme une entité bien spécifique résorbant les carences de l'échiquier politique en s'opposant au nationalisme et à la xénophobie, développé par L'Action française de Barrès et Maurras suite à l'affaire Dreyfus. [...]
[...] En effet, la loi votée le 21 mars 1884, loi qui abroge la loi du 24 juin 1791 qui interdisait les associations professionnelles et l'article 416 du Code Pénal qui punissait les contrevenants. Les organisations de plus de 20 personnes exerçant la même profession peuvent se constituer librement selon l'article 2. Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet d'étude la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles selon l'article 3. Les syndicats doivent déposer leurs statuts, la liste des responsables, ils peuvent ester en justice, posséder des immeubles, organiser un enseignement professionnel. [...]
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