Lorsqu'en octobre 1918, Guillaume II envoie une note au président Wilson, lui demandant l'acceptation d'un Armistice, les gouvernants des pays Occidentaux se montrent surpris : pourquoi l'Allemagne, qui semble à leurs yeux plus que jamais en mesure de gagner la guerre depuis que la signature du traité de Brest-Litovsk l'a libérée de son front Est, désirerait-elle la cessation des hostilités ? L'étonnement passé, des dissensions apparaissent rapidement au sein de ces gouvernements dits « Alliés », entre les partisans de l'écrasement militaire de l'Allemagne, désireux de lui faire subir une défaite retentissante, et les partisans d'un Armistice qui permettrait de jeter les bases d'un traité permettant d'établir la paix à laquelle les peuples aspirent tant. Lorsque l'Armistice est signé à Rethondes le 11 novembre 1918, Clemenceau déclare que « personne n'avait l'idée de contester cette paix que tous avaient si ardemment désirée » . Négocié sur la base des quatorze points que le président Wilson avait présenté au Congrès américain au début de l'année 1918, l'Armistice s'avère vite être plus le prélude à un traité de paix dicté par les puissances occidentales, qu'une simple mesure de cessation des hostilités.
Si des voix, bien que minoritaires, s'élèvent dans les pays de l'Entente pour contester cet Armistice, ce n'est que lorsque le déclenchement de la Seconde guerre mondiale s'avèrera imminent que de nombreuses voix s'élèveront , pour contester un Armistice qui aurait volé la guerre que les « Alliés » méritaient, les privant à la fois d'une victoire complète sur l'Allemagne, mais empêchant également cette dernière de se retrouver en position de vaincue. La signature précoce de l'Armistice de Rethondes aurait été la seule et unique cause du bellicisme qui aurait gangrené l'Allemagne au cours des années suivantes. Enfin, la manière dont le traité de paix de 1919 fût imposé servira longtemps à justifier la théorie du « coup du poignard dans le dos », à travers laquelle les Allemands affirmeront longtemps qu'ils n'avaient pas été réellement vaincu.
Il ne convient pourtant pas de dire ici si oui ou non les puissances alliées ont eu raison d'accepter l'Armistice que l'Allemagne leur demandait. En effet, il conviendra de voir que cet Armistice, bien loin d'avoir été négocié entre les belligérants, a été dicté par les puissances occidentales comme un prélude au traité de paix qui devait leur permettre d'asseoir leur victoire sur l'Allemagne. Il convient plutôt de voir si, au moment même des négociations qui précédèrent la conclusion de l'Armistice, une autre solution aurait pu être envisageable. Si certains parmi les Etats majors, tels le général Mordacq ou le général Pershing désiraient imposer à l'Allemagne une victoire écrasante et l'humilier en allant signer l'Armistice à Berlin, il ne semble pas que cela ait été l'avis majoritaire des dirigeants politiques. Au regard des considérations de ces deux acteurs majeurs de la Grande Guerre, il est également possible d'analyser s'il eût été possible de ne pas signer l'Armistice que l'Allemagne demandait si ardemment.
Par conséquent, il conviendra ici de voir, à la lumière des témoignages apportés par les contemporains des évènements d'octobre et novembre 1918, quels ont été les facteurs qui ont déterminé les Alliés à accepter la conclusion d'un Armistice avec l'Allemagne ? Pourquoi les propositions de prolongement de la guerre n'ont pas été suivies d'effets ? La question est de savoir si en l'état des informations dont disposaient les puissances française et anglo-saxonne sur la situation politique allemande, il leur était possible d'envisager une poursuite des hostilités. A côté de la question « fallait-il signer l'Armistice», il convient donc en premier lieu de se demander « pouvait-on », « devait-on » poursuivre la guerre jusqu'à la prise de Berlin, mais également « pouvait-on ne pas signer l'Armistice » ?
Après avoir envisagé dans un premier temps les origines de la demande d'Armistice, mais également l'état des dissensions politiques et diplomatiques palpables au sein des puissances occidentales à la veille de la signature de celui-ci (I), il conviendra dans un second temps de dresser un rapide tableau de l'état des connaissances sur la situation allemande, et de voir dans quelle mesure la signature de l'Armistice aurait pu être évitée (II).
[...] Mordacq, qui avait tant insisté pour faire déclencher l'attaque stratégique de Lorraine, ne pouvait admettre que l'on pensait à laisser tomber les armes avant d'avoir obtenu les résultats de cette attaque qui devaient être, forcément, considérables. Mordacq est d'avis que même en signant l'Armistice le 11 novembre, il eut été possible de lancer cette attaque avant cette date. Par ailleurs, Clemenceau ne cachait pas sa crainte à l'idée que l'accélération des évènements en Allemagne n'ait des conséquences sur les négociations de Rethondes. Quelle serait la situation des alliés en face de délégués allemands qui n'auraient peut-être plus les pouvoirs de traiter au nom d'un nouveau gouvernement ? [...]
[...] Ainsi, si Wilson a incontestablement joué un rôle considérable dans la négociation de l'Armistice de Rethondes, les Européens n'entendent pas pour autant lui laisser le monopole de celles-ci. Comme le dit le général italien Sonnino : Notre point de vue, il faut le dire, ne peut être le même que celui de Wilson. Il est loin des champs de bataille, il n'a pas à craindre une défaillance de la part d'un pays fatigué après des années de guerre. Il peut tenir un langage plus péremptoire que le nôtre sans danger pour son gouvernement Pershing note ainsi que si les puissances occidentales ont permis que soit affirmée la victoire de ce front sur l'Allemagne, les dissensions qui ont déchiré celui-ci ne permettent certainement pas d'évoquer la victoire des Alliés en tant que tels ; de ce point de vue, l'armistice de Rethondes était sans conteste bien plus américain qu'il ne fut européen. [...]
[...] La guerre n'a pas été poussée jusqu'à sa conséquence naturelle. Nous devions la finir vous à Berlin, nous à Vienne. Il fallait que l'ennemi soit pris à la gorge Négocié trop vite, signé trop tôt, l'Armistice de Rethondes était pourtant une nécessité que ses contemporains s'évertueront à affirmer au cours des années suivantes ; l'épuisement de la population, l'enlisement des troupes dans une guerre dont on ne voyait pas d'issue, tous ces facteurs ont sans conteste joué en faveur d'une signature anticipée de l'Armistice. [...]
[...] A Paris, le 11 novembre, le chef du cabinet militaire de Clemenceau, en dépit de son opinion personnelle, constate que dans aucun milieu allié on n'entend regretter que la guerre n'ait pas duré quelques mois de plus. Cette union en faveur de l'Armistice s'explique par la rigueur des termes qui y sont stipulés; c'est Foch qui en est l'artisan. Lui qui était originairement réticent à tout Armistice, il est également profondément humaniste, et ne veut pas d'un nouveau Sedan pour l'Allemagne, synonyme d'un bain de sans inutile pour l'armée française. [...]
[...] Le 11 novembre 1918. RECOULY, Raymond, Les négociations secrètes Briand-Lancken, Paris : Les éditions de France LOWRY, Bullitt, Armistice 1918, The Kent state university press Clemenceau, Grandeurs et misères d'une victoire On peut citer notamment à ce propos les attaques virulentes que feront les membres de l'Action française, avec à leur tête Maurras et Bainville, qui affirmeront que l'écrasement complet de l'Allemagne en 1918 aurait permis d'éviter à ce pays de se relever par la suite, et aurait donné la victoire militaire à laquelle le peuple français aspirait. [...]
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