La seconde guerre mondiale, par son barbarisme, a marqué de façon très dure, et pour de nombreuses années, la mémoire des peuples européens. Cependant, en 1946, son terme, ne signifia pas pour autant la fin des peurs collectives. A l'horreur du nazisme succéda l'angoisse de l'apocalypse finale que faisait peser sur la planète entière, telle une épée de Damoclès, un nouveau type d'armement d'une puissance absolue : les armes nucléaires. En effet, l'explosion des deux premières bombes atomiques sur le Japon, à Hiroshima et Nagasaki, en 1945, bouleversa profondément les populations, choquées par la vision cauchemardesque de ces villes balayées en quelques heures par un souffle de feu et de cendres d'une puissance encore jamais atteinte. Une situation que renforça encore davantage l'émergence à l'échelle mondiale des deux grands vainqueurs de la seconde guerre mondiale - l'Union Soviétique et les Etats-Unis - alors même que les anciennes puissances européennes se trouvaient amoindries. Ces deux « colosses », partenaires par obligation contre l'ennemi fasciste, se trouvaient diamétralement opposés par leur idéologie respective et leur vision des relations internationales. La guerre à peine achevée, chacun tentait donc d'étendre sa zone d'influence, en particulier sur le continent européen, quitte à frôler à maintes reprises les prémisses d'un nouveau conflit aux conséquences imprévisibles. Le monde était entré dans l'ère nucléaire.
Pour qualifier cette période où les relations internationales ont été marquées par la tension croissante et le conflit latent entre les Etats-Unis, l'Union Soviétique et leurs alliés respectifs tout en restant au-dessous du seuil de l'affrontement direct, les historiens ont employé le terme de « Guerre froide », notion apparue pour la première fois en 1947 chez Walter Lippmann, un journaliste américain . La Guerre Froide s'est présentée comme un conflit global, tant sur un plan politique, militaire, géographique qu'idéologique, dans lequel les deux Grands se sont livrés à une lutte d'influence à l'échelle mondiale et, particulièrement, européenne.
Les questions nucléaires y ont incontestablement tenu un rôle de premier plan : la Guerre Froide peut en effet se définir comme une des conséquences des possibilités d'utilisation guerrière de l'énergie nucléaire et elle ne s'explique pleinement qu'en fonction de la prise de conscience de ces conséquences. De ce fait, la Guerre Froide ne s'est jamais amplifiée jusqu'à atteindre l'affrontement nucléaire car les dirigeants américains comme soviétiques étaient parfaitement conscients des risques irréversibles qui en auraient résulté. Par conséquent, dans la mesure où le risque d'une guerre totale aurait entraîné la destruction de toute vie sur terre, les deux Grands se sont vus obligés de rechercher des terrains d'entente afin de régler le problème du désarment et éviter de franchir le cap du conflit direct. Cet état de fait admis, on peut alors voir la Guerre Froide sous l'angle nouveau du désarmement : « limitation des moyens au service d'enjeux illimités, telle est la caractéristique de la Guerre Froide » , comme se plaît à la décrire Claude Delmas. Une situation qui fera d'ailleurs dire à Lucien Poirier, spécialiste de la stratégie nucléaire, que la bombe atomique était l'arme du « cocooning » appliqué aux relations internationales.
Toutefois, loin d'être le seul privilège des relations internationales, les questions nucléaires et spatiales vont aussi devenir l'objet d'une propagande plus ou moins intense à destination du grand public. En effet, jamais une arme n'aura suscité autant de sentiments antagonistes, à la fois vecteur absolu de la paix pour les uns et moyen de l'apocalypse finale pour les autres. N'entend-t-on pas ainsi dire souvent que si la guerre est restée « froide » sur le continent européen, alors que ce ne fut pas forcément le cas ailleurs, ce fut grâce à la bombe atomique ? Si, au premier abord, on pouvait penser que le fait nucléaire ne concernait pas les masses humaines, mais seulement les dirigeants et les Etats-majors, contrairement au fait idéologique pour lequel les masses ont été l'objet de toutes les subversions, il s'avère pourtant que ces questions ont beaucoup intéressé les propagandistes. Le désir d'un accord dans le domaine du nucléaire n'a pas empêché les Etats-Unis et l'Union soviétique de lui donner un rôle primordial au sein de leur propagande respective. En effet, il existait alors une situation nouvelle pour la diplomatie, à savoir que chacun cherchait à faire prévaloir ses intérêts tout en tentant pourtant de mettre sur pieds des accords de désarmement. C'est là que la propagande est intervenue à différents échelons : auprès des masses, envers les pays du Tiers-monde et sur un plan diplomatique. Dans le domaine nucléaire, les deux Grands ont donc cherché à influencer dans leur sens une grande majorité des gouvernements, notamment par l'intermédiaire des peuples encore traumatisés par les images d'Hiroshima. C'est ainsi que l'Union soviétique a tenté d'amadouer les pays non-alignés sur les questions de la non-prolifération des armes nucléaires pour qu'ils la soutiennent lors des négociations internationales sur le désarmement par exemple.
On ne peut en effet ici nier le caractère indéniable du fait que les armes nucléaires, et la conquête spatiale qui a suivi, ont eu une influence décisive sur la diplomatie internationale. Ce n'était pas la première fois dans l'histoire que des questions militaires venaient s'immiscer dans des affaires de diplomatie internationale, mais c'était par contre la première fois que le comportement diplomatique ne pouvait pas s'expliquer sans les considérations des potentiels militaires, et notamment atomiques.
Il va sans dire que les propagandistes du Kremlin, bien que réticents dans les premières années de l'âge nucléaire, ont fini par prendre conscience des avantages que le parti pouvait tirer du développement d'une « propagande nucléaire et spatiale ». En effet, un système régi par une idéologie très forte où l'idée même de « manipulation des foules » n'est pas connotée de façon négative, tel qu'il existe en URSS, ne pouvait passer à côté ni de la mise en scène des succès atomiques ou spatiaux de ses concitoyens, ni d'une chance de plus de se donner le beau rôle, celle de la « grande puissance pacifique mondiale ». Si l'on s'intéresse plus particulièrement aux questions de l'espace et de l'atome à travers la politique et la propagande internationales de l'Union soviétique, il apparaît donc que ces questions ont fait l'objet d'un traitement spécifique, qui a d'ailleurs parfois pu différer des méthodes traditionnellement utilisées par le parti en matière de désinformation, de manipulation ou de subversion.
[...] L'utilisation des questions nucléaires dans la propagande soviétique, qui a suivi l'explosion nucléaire sur le Japon, montre très bien l'interaction existant entre les objectifs poursuivis par Staline et les évènements de politique internationale auxquels ils sont confrontés. Ces questions permettent aussi de mettre en relief des paradoxes importants entre les désirs des dirigeants soviétiques et l'image qu'ils voulaient se donner aux yeux de l'opinion internationale. L'URSS, une puissance pacifique contre les fauteurs de guerre américains. Une des conséquences de l'entrée de la bombe atomique dans les relations internationales est par ailleurs le développement d'une grande campagne de propagande contre la bombe qui place les Soviétiques en défenseurs de la paix. [...]
[...] Kessler, Renseignements et propagande pendant la guerre froide Renseignement et Propagande pendant la guerre froide : 1947-1953, Paris, Editions Complexe pages. Barghoorn Frederick C., The soviet image of the United-States, New- York, Harcourt, Brace & Company p p-166. Barghoorn Frederick C., The soviet image of the United-States, New- York, Harcourt, Brace & Company p Barghoorn Frederick C., The soviet image of the United-States, New- York, Harcourt, Brace & Company p p-171. M. Guser, La lutte de l'URSS pour la réduction des armements et l'interdiction de l'arme atomique, Moscou, Gospolitizdat p in J. [...]
[...] En effet, les différents thèmes abordés par la propagande officielle du Kremlin complètent à leur façon l'action des mouvements de masse. La résurgence de la confrontation des deux mondes En même temps que se développe la campagne pour la Paix dans toute l'Europe, l'URSS entreprend une campagne de subversion à l'encontre des Etats-Unis. Ces dirigeants sont accusés de ne pas souhaiter l'équilibre nucléaire et taxés de puissance agressive, récalcitrante et roublarde. Les discours des Soviétiques ressortent le vieux thème stalinien de la confrontation des deux idéologies opposées que la détente avait mises de côté. [...]
[...] La propagande nucléaire soviétique au temps des accords : 1963- 1972 Certes, la crise de Cuba a beaucoup affecté les relations entre l'Union soviétique et les Etats-Unis. Mais, l'explosion de la bombe atomique française, en 1960, puis celle, quatre ans plus tard, de la première bombe chinoise, renforcera chez les deux Grands l'idée de maintenir un contrôle sur le développement de l'énergie nucléaire dans le monde. Les années 1960 voient donc la communauté internationale s'enrichir de traités spécifiques, dont les objectifs généraux sont de figer et de hiérarchiser le monde nucléaire. [...]
[...] Toutefois, les réflexions avancées par Malenkov transparaîtront quelque peu dans la propagande qui a alors cours au niveau international, en particulier dans le soin que prendrons les propagandistes du Kremlin a donner à l'URSS l'image d'une puissance pacifiste face aux bellicistes américains assoiffés de nucléaire. En fait, ce n'est réellement qu'à partir des années 1956-57, donc trois ou quatre ans après la mort de Staline, que s'amorçât une évolution conceptuelle en matière d'appréhension du fait nucléaire, dont les conséquences se traduisirent en termes politiques et militaires en 1960-61, et en 1962 dans le livre, Stratégie militaire, publié sous la direction du Maréchal Sokolovski[5]. [...]
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