« Depuis 1940, le mot Empire a acquis un prestige quasi magique, il a été l'un des pôles de la pensée politique française », constatait Léopold Sedar Senghor en 1945. À ces mythes doit être opposée la réalité du rôle des colonies dans la guerre. Le conflit qui débute en 1939 prend progressivement un caractère nouveau : il est mondial, or le monde à cette époque, ce sont les justement les Empires, britannique et français, mais aussi hollandais et belge.
Il est indispensable de distinguer continuellement la réalité militaire du mythe politique des colonies, de prendre en compte les différences fondamentales entre les puissances coloniales concernées, avec par exemple une France défaite et déchirée et une Angleterre combattante et unie, et de s'interroger sur l'impact de la guerre chez les peuples colonisés et les réactions qu'elle suscite.
[...] La Grande-Bretagne réagit alors en emprisonnant les leaders extrémistes du Parti du Congrès (Subhas Chandra Bose) et en promettant un futur statut de dominion avec le rapport Cripps. Les revendications nationales peuvent aussi être communistes, c'est le cas au Vietnam où les résistants s'érigent à la fois contre le Japon et la France, avec notamment une tentative insurrectionnelle en novembre 1940, l'image des mouvements communistes profite beaucoup de la résistance soviétique, notamment à partir de 1943 Ces revendications peuvent aussi être attisées par un pays tiers, ainsi la Grande-Bretagne encourage les rébellions en Syrie et au Liban contre le régime de Vichy. [...]
[...] Les colonies deviennent donc des proies relativement faciles : les populations locales, étant déjà soumises à un pays étranger, ont une identité collective relativement faible, peu de Vietnamiens, malgré la propagande officielle, se sentent solidaires des Français face aux humiliations qu'ils subissent en Indochine ; et les métropoles ne peuvent engager d'efforts colossaux dans la défense de leurs colonies, c'est ce qui explique le peu de résistance de l'Indochine ou de l'Indonésie. Cependant, dans l'ensemble, les colonies se montrent relativement fidèles à leur métropole malgré leur débâcle en Europe et il n'y a pas d'effondrement des Empires, ce qui montre leur relative solidité. Les Empires deviennent donc de réels enjeux militaires. En Asie, l'Angleterre profite de ses possessions pour lancer des offensives sur le Japon qui s'était emparé de la Birmanie et de la Malaisie. [...]
[...] Parallèlement à ces activités traditionnelles sont créées de petites industries locales pour remplacer la baisse de production de la métropole, ce qui amène le doublement de la main- d'œuvre industrielle en Afrique du Sud et fera dire à Albert Luthuli, futur prix Nobel de la paix : la guerre nous rendit conscients des forces actives dans le monde en général et sur notre continent en particulier Ainsi, au début de la guerre le seul intérêt des Empires selon leur métropole est qu'ils sont considérés comme des facteurs de puissance, ce qui est faux car les Empires demandent aussi des investissements énormes paralysant parfois le dynamisme économique métropolitain. Quoi qu'il en soit, pour nombre d'hommes politiques français en 1940, l'Empire, malgré ses réserves, n'a pu empêcher la défaite ; la guerre est alors terminée et il serait absurde que celle-ci se poursuive dans l'Empire : à partir du moment où la métropole est tombée, l'Empire est tombé. En juillet 1940, Edouard Herriot explique : l'Empire, c'est un bobard, il ne faut plus de bobards ! [...]
[...] Tel est le sentiment de beaucoup de Français à la fin de la guerre. Le Conflit a ainsi paradoxalement marqué, dans le cas de la France une augmentation de la popularité de l'Empire en métropole en même temps qu'une volonté d'émancipation dans les colonies : les ingrédients du blocage de la décolonisation sont alors présents. La Grande-Bretagne, quant à elle, ne connaît pas un si fort regain d'attachement à ses colonies, sa vocation impériale lui ayant demandé des efforts considérables, ce qui explique certainement une décolonisation plus consensuelle. [...]
[...] Face à ces revendications, les métropoles ne peuvent plus se contenter de politiques de pacification et sont obligées de montrer une volonté de conciliation. Ainsi, en 1942, le plan Beveridge établit l'égalité sociale des colonies face à la métropole. De même, la conférence de Brazzaville, au début de l'année 1944, jette les bases d'un vaste programme de recommandations d'ordre administratif, économique et social visant non seulement à réprimer les abus les plus criants de l'exploitation coloniale, mais aussi à assurer une plus libre représentation indigène. [...]
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