Quelques mots, largement empruntés à Porter, pour commencer, sur l'historiographie de l'Empire britannique. Dès les années 1880, le premier spécialiste de l'histoire impériale, John Robert Seeley faisait remarquer que la plupart des ouvrages donnaient l'impression que l'Empire avait été conquis « comme par inadvertance », « in a fit of absence of mind ». Après Seeley, assez peu de travaux sont consacrés à l'Empire, avant un article important de Ronald Robinson et John Gallagher, en 1953, qui montre que la construction de l'Empire n'est pas seulement le fruit du hasard, même pendant la première moitié du siècle. Mais l'historiographie de l'Empire britannique ne se développe vraiment qu'à partir des années 1990. Dès lors, l'Empire tend à occuper une place considérable ?centrale ?- dans l'histoire britannique. Certains historiens tendent même à considérer que l'impérialisme passé est à l'origine de nombreux problèmes contemporains, y compris dans des domaines inattendus : un auteur a ainsi rendu la colonisation britannique responsable de l'homophobie dans la Jamaïque contemporaine, ce qui est d'ailleurs peu flatteur pour les Jamaïcains, supposés être incapables de penser par eux-mêmes plusieurs décennies après l'indépendance. Edward Saïd, dans Culture et impérialisme, publié en 1993, accorde une place centrale à l'impérialisme dans la culture nationale britannique, mais cela semble discutable et les méthodes d'Edward Saïd ont suscité un certain nombre de réserves. On cite ainsi en particulier l'analyse qu'il fait du livre de Jane Austen, Mansfield Park, paru en 1814. Edward Saïd soutient que l'esclavage colonial teint une place centrale dans le livre, alors que Jane Austen n'y fait qu'une seule allusion. Ce genre d'analyses a conduit des historiens comme Robert Irwin (qui est extrêmement sévère) ou Bernard Porter (certainement plus nuancé) à adopter une vue très critique des travaux d'Edward Saïd. Il convient certes de ne pas réagir de manière excessive (ce que fait peut-être même Bernard Porter, qui me semble (mais c'est un avis personnel et même si je m'intéresse depuis très longtemps au dix-neuvième siècle britannique, je ne peux même pas comparer ma connaissance de ce sujet avec celle de Porter) négliger certains textes, ce qui ne remet cependant pas en cause l'ensemble de son travail). En fait, l'Empire a certainement exercé une influence sur le Royaume-Uni du dix-neuvième siècle, mais il ne faut pas l'exagérer : les autres États européens et, peut-être plus encore les Etats-Unis ont eu pour le Royaume-Uni une importance beaucoup plus grande. Le débat historiographique sur l'Empire a en tout cas un mérite : il augmente considérablement le nombre des études consacrées à l'Empire, y compris dans des domaines inattendus (et peut-être quelquefois anecdotiques) comme le sport ou même le music-hall. Ce déplacement des centres d'intérêt n'est cependant pas totalement dépourvu d'inconvénient : il s'est effectué au détriment de sujets plus traditionnels (mais fondamentaux) qui souffrent de n'être plus à la mode (et de surcroît plus difficiles) comme l'histoire économique (...)
[...] Paradoxalement, le fossé entre Britanniques et Indiens tend à alors à se creuser. Par beaucoup d'aspects, les premiers sont les instructeurs des Indiens, ce qui en fait une classe à part, particulièrement en Inde, où la société est fondée sur le système des castes. L'administrateur victorien est d'ailleurs certainement un personnage beaucoup plus honorable que ne pouvait l'être le marchand du dix-huitième siècle, mais il est évident qu'il ressent un profond sentiment de supériorité morale, qui ne facilite pas toujours ses relations avec les populations indiennes. [...]
[...] Ajoutons que les Britanniques écartent les hindous de l'armée au profit des musulmans, des Sikhs ou des Gurkhas, les races martiales de l'Inde considérées comme plus loyales. Ces soldats qui ne sont pas hindous, de surcroît, peuvent facilement être utilisés outre-mer, ce qui rend l'armée des Indes beaucoup plus utile aux Britanniques. Tout ceci pèse naturellement sur l'attitude des intellectuels indiens. Cette catégorie se développe avec l'essor de l'éducation. Celle-ci fait à la fin du dix-neuvième siècle des progrès rapide mais inégaux, ce qui est sans doute inévitable dans une société aussi stratifiée que l'Inde. [...]
[...] D'autres, comme Cornwallis, gouverneur général de 1786 à 1793, ne tenaient pas les Indiens en très haute estime, mais estimaient que le changement provoquerait des conflits, des malheurs et des dépenses. En définitive, cela revenait un peu au même. La première tendance doit beaucoup à l'activité d'un certain nombre d'administrateurs remarquables, comme sir Thomas Munro, gouverneur de Madras de 1820 à 1827, Mountstuart Elphinstone, gouverneur de Bombay, Thomas Metcalfe, important agent britannique à Delhi. Sir Thomas Munro expose ainsi en 1824 sa conception de l'Inde. [...]
[...] Sans une certaine forme d'acceptation des Indiens, une poignée de Britanniques ne pouvaient tout simplement pas contrôler un aussi énorme territoire. Il n'apparaît pas nécessairement évident que les Britanniques pourront conserver perpétuellement le contrôle de tous ces territoires. Etait-ce d'ailleurs souhaitable ? Fallait-il dans ce cas remettre en place un pouvoir traditionnel ? Dans une assez large mesure, cette option serait d'ailleurs la continuation de certaines orientations de l'East India Company. Celle-ci avait été généralement assez soucieuse de ne pas trop se mêler de certaines pratiques et des coutumes indiennes. [...]
[...] Y aurait-il eu autant de chemins fer en Inde sans les Britanniques ? Il est évidemment impossible de le savoir avec certitude mais c'est a priori fort peu probable : l'Inde n'aurait probablement pas été unifiée, il 13 y a peu de chances que ses gouvernants aient été plus éclairés que les Britanniques et il aurait été très difficile d'attirer les capitaux britanniques, qui étaient indispensables à la construction de voies coûteuses (étant donné leur longueur et les obstacles naturels), sans la garantie impériale. [...]
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