L'émigration politique italienne en France ne se limite pas aux responsables politiques, députés ou journalistes contraints à l'exil, et qui, qualifiés de fuorusciti (littéralement : "sortis dehors") par les fascistes, qui ne voulaient pas parler d'exilés, ont repris à leur compte ce terme dépréciatif, en faisant un véritable drapeau. À côté d'eux, avant eux, il y a toute une immigration pour laquelle le partage entre "politique" et "économique" n'a guère de sens. On y trouve des Italiens déjà présents en France, politisés bien avant l'arrivée au pouvoir de Mussolini, qui ont été rejoints par une foule venue chercher du travail en France, mais qui se compose souvent de gens bannis de leur ville par les squadristes, ou ne trouvant plus d'embauche du fait de leur participation aux grèves du biennio rosso, les deux années d'ébullition sociale de 1919-1920, gens venus chercher des conditions de vie meilleures, moralement (c'est-à-dire politiquement) comme matériellement, d'où un net accroissement des expatriations après la marche sur Rome. Ils sont nombreux dans ce cas. Certes, toute l'émigration n'est pas militante, mais des estimations convergentes indiquent qu'en gros, 10% du presque million d'émigrés italiens que compte la France entre les deux guerres mondiales sont, à un degré ou à un autre, politisés. Il suffit de dire que la police du régime a établi des dossiers nominatifs sur quelque 25 000 d'entre eux, conservés à l'Archivio centrale dello Stato de Rome, dans le fonds du Casellario politico centrale. Beaucoup de ces fascicules sont très minces, ne contenant parfois qu'une lettre interceptée, vantant les mérites du Front populaire français ou critiquant la guerre d'Ethiopie, mais leur nombre n'en est pas moins impressionnant, d'autres concernent des responsables locaux et les leaders d'envergure nationale, et surtout, maints militants échappent à ce fichage, qui ne concerne par exemple que de l'ordre du dixième des naturalisés ensuite privés de leur nouvelle nationalité pour raisons politiques par la dictature vichyste, ou des éléments portés sur les listes nominatives d'adhérents à des sections locales d'une organisations de masse comme l'UPI.
Evidemment, l'engagement n'est ni uniforme ni continu. Des immigrés se politisent en France, surtout à l'occasion des mouvements sociaux de 1936. D'autres ont quitté l'Italie pour des raisons politiques mais cessent toute activité, souvent sous la pression de la police locale. D'autre part, tous, loin de là, ne sont pas en contact avec des structures susceptibles de les encadrer. Reste qu'on a une masse de militants potentiels, d'autant plus importante qu'émigration politique et économique sont liées, et qu'aux émigrés politiques s'ajoutent les immigrés qui se politisent (...)
[...] On rêve de rassembler militants, on arrive à 900 ou ce qui n'est déjà pas si mal, mais le mouvement est brisé par la police française. L'antifascisme non communiste n'est pas en reste, avec les Légions garibaldiennes, nées elles aussi de l'affaire Matteotti, et animées par des responsables de la LIDU. Elles recrutent au moins autant que les Centuries communistes, surtout dans la mouvance anarchiste semble-t- il. Elles bénéficient de la '"compréhension" de quelques personnages officiels français, et d'une entente avec les exilés catalans. [...]
[...] L'émigration non-communiste, elle, reste embryonnaire. Le réseau des sections socialistes s'est affaibli par rapport au début du siècle, les républicains seraient mieux représentés, mais chacune de leurs sections manque d'audience réelle. Ces faiblesses pourraient bénéficier à d'autres structures, d'autant que la forme même des partis politiques est alors en question. Des tentatives parallèles ont faites, d'abord pour aider les immigrés. Ce ne sont pas des réussites. Ainsi, le "Premier secours", inspiré par le catholique démocrate Marc Sangnier, et où se cotoient l'anarchiste Camillo Berneri et l'ex-président du conseil Francesco-Saverio Nitti. [...]
[...] La déception qu'avait été la république espagnole de 1931 va dans le même sens. De plus, le virage du parti communiste français, qui reprend désormais à son compte les valeurs nationales, heurte les militants étrangers naturellement attachés à l'internationalisme, et inquiet devant l'effacement du drapeau rouge face au drapeau tricolore. Deux choses, pourtant, vont totalement modifier les données. Il s'agit du mouvement social de juin 1936, et la guerre civile espagnole. Si le gouvernement à direction socialiste de Léon Blum semble la promesse d'un pouvoir politique moins dur aux étrangers que ne l'étaient les modérés ou les radicaux, ce qui compte, ce sont surtout les grèves, les occupations d'usines, et un mouvement de syndicalisation sans précédent en France. [...]
[...] Bon nombre sont italiens. L'engagement est syndical, mais aussi politique. Le dépouillement d'un échantillon des dossiers de la police italienne semble indiquer qu'au moins 40% des Italiens qui ne se politisent qu'après leur arrivée en France le font au cours de deux années seulement, entre la mi-1936 et la mi-1938, et qu'ils se dirigent vers la mouvance communiste, ou vers un antifascisme générique, lié alors à la francophilie. Cette situation se traduit par la création en 1937 de l'Union Populaire Italienne, organisation de masse contrôlée par le PCI, et qui prend la suite du Fronte unico, autre organisation de masse, mais qui n'arrivait guère à recruter hors de la mouvance de ce dernier. [...]
[...] La LIDU sert de forum, en mettant directement en contact, dans ses sections, les adhérents de base. Les ligueurs sans parti mettent en cause le contrôle des directions des partis sur la Concentrazione, et mettent aussi en cause le modérantisme des socialistes réformistes, prépondérants grâce au prestige de leurs dirigeants et à leurs contacts internationaux, même s'ils ont peu de militants à proprement parler. Ces mêmes réformistes se voient reprocher par le PRI de chercher des alliances du côté de l'Eglise ou des monarchistes. [...]
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