Le secret des Pyramides, La malédiction de Toutankhamon, les Maléfices de la Momie…notre inconscient collectif est nourri depuis des siècles par une fascination pour l'aura mystérieuse de la civilisation de l'Egypte antique. L'engouement sans précédent du dix-neuvième siècle pour cette dernière remonte à l'expédition de Bonaparte de mai 1798 à août 1801 et à la fameuse Description parue en 1809, cependant l'égyptomanie naît antérieurement.
Si durant le Moyen Age, l'Egypte n'est qu'un détour pour les pèlerins de Terre Sainte, à partir du quinzième siècle, des voyageurs courageux commencent à s'aventurer hors des circuits touristiques du Sinaï, du Caire et d'Alexandrie et poussent plus loin vers le sud.
C'est avec la Renaissance que s'éveille véritablement un désir de retrouver le modèle égyptien antique. Cette époque fut en effet l'âge d'or des collectionneurs et des érudits, tels Richelieu et Mazarin. Les missions officielles mais aussi les voyages privés en Egypte se multiplient et l'on assiste aux débuts hésitants de l'archéologie égyptienne. Dès lors, les publications de textes et de dessins, qui en sont issues et qui vont continuer à se multiplier jusqu'à la véritable naissance de l'égyptologie, serviront de base à l'apparition, puis au développement de l'égyptomanie.
Egyptomanie, égytomania, égyptiannisme, égyptophilie, égyptolâtrie, thèmes égyptisants, ces termes sont souvent employés les uns pour les autres. Il convient dès lors de définir ce qu'on entend vraiment par « égyptomanie » : ce concept recouvre en fait toutes les réutilisations d'éléments décoratifs et de thèmes empruntés à l'Egypte ancienne dans des formes et des objets variés, sans rapport avec leur utilisation et leur raison d'être d'origine. Toute création néo-égyptienne peut donc participer de l'égyptomanie si elle est recréée et réutilisée avec un sens nouveau.
Ainsi, il ne faut surtout pas donner l'étiquette d'égyptomanie à tout ce qui a un rapport avec l'Egypte. Il ne faut pas confondre non plus un décor relevant de l'orientalisme ou de l'exotisme et un autre relevant de l'égyptomanie. De même, voyager en Egypte, avoir des goûts antiques, en rapporter des objets et les exposer relève de l'égyptophilie.
Réduire l'Egyptomanie à de simples copies de l'art des pharaons revient à lui retirer la part la plus intéressante de son identité. Effectivement, l'égyptomanie est, et c'est une de ses originalités, un réceptacle de symboles. Il s'agit surtout de symboles nouveaux.
Les formes égyptiennes sont toujours choisies par les artistes en connaissance de cause : elles recréent tous les mystères d'un pays lointain et mal connu, elles rejoignent les secrets de la franc-maçonnerie, évoquent la campagne militaire de Bonaparte en Egypte, et surtout se fondent dans le mythe de Napoléon.
L'égyptomanie est-elle seulement une manifestation de l'exotisme ou une excroissance de l'anticomanie (la passion pour l'Antiquité), ou constitue-t-elle un phénomène unique, qui serait bien plus qu'une simple manie de l'Egypte ?
L'égyptomanie se fonde tout d'abord sur des sources archéologiques, scientifiques et artistiques (I). Elle se développe aussi grâce au goût du public pour l'exotisme égyptisant (II). Néanmoins, elle véhicule un symbolisme fort qui fonde sa particularité (III).
[...] Nul n'ignore que Bonaparte est parti en Egypte accompagné d'une importante délégation scientifique composée de nombreux spécialistes, écrivains, experts etc., dont faisait partie le célèbre Dominique-Vivant Denon. Celui- ci, de retour d'Egypte, rédige son Voyage dans la Basse et Haute Egypte pendant les campagnes du Général Bonaparte, publié en 1802, qui est une véritable référence. L'égyptologie devient dès lors une science connue, et elle offre ainsi de nombreux modèles à l'égyptienne. Les œuvres parues suite à l'expédition d'Egypte renforcent l'aura autour de la civilisation des pharaons. A cet égard, l'œuvre de Vivant Denon est révélatrice de l'importance qu'a jouée la documentation sur l'Egypte. [...]
[...] L'Egypte est souvent présentée comme ayant connu un achèvement dans le domaine des arts et des sciences. Aussi n'est-ce pas surprenant qu'elle soit souvent utilisée, surtout au dix-neuvième siècle, dans des buts pédagogiques : il ne s'agit pas alors seulement de montrer, mais surtout d'expliquer, en apportant l'art à domicile : ainsi Mariette réinvente-t-il l'Egypte à travers les pavillons des Expositions universelles, et l'Egypte est réutilisée sur scène à travers l'opéra Aïda de Verdi par exemple. Il est par ailleurs intéressant d'étudier l'usage qui a été fait de l'Egypte dans l'architecture des palais de justice et des prisons. [...]
[...] Les sept millions de visiteurs qui se rendent sur le Champ de Mars sont surtout attirés par les pavillons orientaux, où l'Egypte occupe la première place. Ismaïl Pacha, le vice-roi, successeur de Saïd en 1863, se rend à cette exposition universelle. Francophone, francophile, diplômé de Saint-Cyr, il rencontre Napoléon III qui le reçoit royalement. Lors de ce grand évènement, les Parisiens peuvent prendre une véritable leçon d'égyptologie. La conception du Pavillon Egyptien, qui mesure près de six mille mètres carrés, est confiée à Mariette. [...]
[...] Edward Saïd, dans L'orientalisme, l'Orient créé par l'Occident, écrit à ce propos que l'Orient suggère non seulement la fécondité, mais la promesse (et la menace) du sexe, une sensualité infatigable, un désir illimité, de profondes énergies génératrices Flaubert illustre d'ailleurs très bien cette thèse, selon laquelle l'Orient n'existe pas, mais est une création de l'Occident, son double, son contraire, l'incarnation de ses craintes et de son sentiment de supériorité tout à la fois, la chair d'un corps dont il ne voudrait être que l'esprit Si l'Egypte fournit de nombreux thèmes à l'égyptomanie qui seront repris au dix-neuvième siècle, elle n'est pas la seule composante du phénomène car l'originalité de l'égyptomanie se fonde sur ses propres symboles. L'égyptomanie puise tout d'abord son originalité dans la réutilisation de thèmes qui se trouvent toujours habillés d'une signification propre. [...]
[...] L'égyptomanie est donc plus que l'expression d'une mode passagère. Elle est aussi plus que la simple expression d'un exotisme, elle répond à un besoin, une envie des hommes de posséder, d'enfermer chez eux, en modèles réduits, les merveilles de l'Egypte. Une autre des grandes forces de l'égyptomanie est sa puissance d'évocation. Nourrie des symboles que l'homme lie à l'Antiquité égyptienne, et qui sont sans rapport avec ceux qui étaient les siens dans l'Antiquité, l'égyptomanie bénéficie d'une aura de rêve et de mystère. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture