« Le bolchevisme avait vaincu facilement car il proposait l'utopie : tout pour tous et tout de suite » écrivirent les historiens A.Nekritch et M.Heller en 1986 dans L'utopie au pouvoir.
Si cette critique mérite pondération car les acteurs du bolchevisme, bien que ardents défenseurs du rêve égalitaire, n'affirmaient pas cette immédiateté et facilité universelle de reconquête économique, sociale, du pouvoir mais plutôt que les attentes des populations étaient légitimes et réalisables, ce que ne faisaient pas leurs adversaires. Afin de bien comprendre les enjeux de cette année 1917 qui constituera la base de notre analyse, il est nécessaire de se pencher sur l'état à la fois politique, économique et social de la Russie et de son peuple.
Cette année 1917 est tout d'abord, pour la Russie, comme pour d'autres pays européens, une année de guerre. Economiquement, cela implique donc une économie adaptée, et pour la population des privations et autres restrictions illustrées par l'instauration des cartes d'alimentation qui mettent en lumière la menace de disette. Démographiquement, la Russie est littéralement saignée : environ 8 millions d'hommes tués, blessés ou mutilés sur les 15 000 réquisitionnés. Cette année 1917 est également celle du changement interne pour la Russie. Changement du régime tout d'abord avec l'abdication du Tsar Nicolas II qui sera suivie d'un fragile gouvernement provisoire que Lénine met en garde « si les paysans prennent la terre, soyez sûrs qu'ils ne vous la rendront pas, [et] ils ne nous la demanderons pas ». Lénine, défenseur de la Révolution socialiste dont le but est le pouvoir prolétaire, ne soutient pas ce gouvernement « démocratique-bourgeois » et les 26 et 27 octobre 1917, ce changement tant attendu par Lénine arrive : c'est ce que le monde qualifiera à posteriori de « Révolution d'Octobre ». Les Bolcheviks prennent le pouvoir en Russie. Désormais, et malgré la guerre civile qui éclate, les espoirs populaires sont permis. En effet, soulignons à quel point la détresse économique est grande à l'automne 1917. Premier point marquant, en octobre 1917, la rouble a perdu 90% de sa valeur de 1914 et l'inflation est galopante. Par conséquent la situation sociale n'en est que plus dramatique : baisse du pouvoir d'achat des employés et salariés et refus de vendre la production agricole de la part des paysans qui, depuis la révolution agraire de l'été, occupaient les terres désormais morcelées des propriétaires mettant en place une production d'autosuffisance, menaçant ainsi la ville de la disette.
Ainsi, en 1917, le pouvoir politique est rendu fragile par la contestation, l'économie russe est en grande difficulté, et la société bouleversée. Face à cet état de faits, les paysans réclament la propriété pleine et entière des terres et les ouvriers des salaires plus hauts pour de meilleures conditions de vie.
A 37 ans, Lénine est nommé président du Conseil des Commissaires du Peuple par le Congrès des Soviets. Sous son impulsion, s'est réalisée la Révolution et se feront les grandes nationalisations. Lénine, ardent défenseur de la dictature du prolétariat, il va essayer de redresser l'économie russe tout en satisfaisant les exigences populaires. Quant à Staline, héritier non grata de Lénine, il réduira, à partir de 1928, l'économie à la poursuite de ses objectifs mégalomaniaques de grandeur absolu et de puissance incontestée. A sa mort, le 5 mars 1953, il laisse une Russie économiquement en difficulté et toujours profondément divisée.
Plus que la Russie elle-même, ce sont les russes et les populations des Etats intégrés dans l'URSS crée en 1921 que nous étudierons. Nous mettrons en relation économie et société, pour finalement poser la question des liens d'interaction et interdépendance qui les unissent.
Dans quelle mesure les orientations économiques de Lénine comme de Staline ont-elles participé de la modification de la société russe et dans quelle mesure la société russe peut-elle infléchir voire mettre en échec une telle orientation ?
Tout d'abord il s'agit de voir que le communisme de guerre comme la Nouvelle Politique Economique menés par Lénine se heurtent au rejet de la société. Face à cet échec, Staline se lance à partir de 1929 dans une nouvelle orientation économique axée sur la production, sans pour autant obtenir de soutien populaire. Enfin, avec l'entrée en guerre de l'URSS en 1941, l'économie soviétique prend une direction encore différente pour se concentrer sur l'effort de guerre puis la reconstruction, et ce toujours au détriment de la société russe qui continue de souffrir.
[...] L'ensemble de la société russe, perturbé refuse de suivre un mouvement économique hypervolontariste. Il y a là primauté de l'action sociale sur l'ordre économique. C. Bilan économique et social à la veille de la mort de Staline C'est sans doute aucun que l'on peut affirmer que la volonté de Staline à la fin des années 1940 et au début des années 1950 fut d'assainir l'économie en lui donnant des bases solides à un moment où non seulement il rejetait le plan Marshall mais en plus devait faire face à une forte baisse des échanges commerciaux avec les pays anglo-saxons. [...]
[...] Ce changement économique s'accompagna d'un changement pour la société puisque la main d'œuvre fut déplacée en même temps que ses usines. Les familles ouvrières étaient ainsi contraintes par la force de déménager pour suivre l'outil de travail. Avec la mobilisation sur le front des hommes millions sont sous les drapeaux, le visage de la main d'œuvre fut modifié en 1942 : urbanisation, féminisation et rajeunissement en sont les maîtres mots. Les citadins hommes de 16 à 55 ans et femmes de 16 à 45 ans durent travailler dans les usines pour supporter l'effort de guerre. [...]
[...] Il veut également mettre en évidence le poids de l'histoire russe dans l'avènement du stalinisme. Par exemple, la manière dont Staline récupère des thèmes séculaires liés à la Nation russe et appartenant autrefois au tsarisme. L'auteur introduit son sujet en affirmant l'existence d'une continuité dans le pouvoir de Lénine comme dans celui de Staline : le manque de sources d'information. La conclusion de l'ouvrage vient faire échos à ce problème posé en base de l'analyse pour montrer à quel point les lacunes des historiens demeurent importantes sur ce sujet en raison de l'ouverture tardive des archives de cette période 1917-1953. [...]
[...] Ce massacre du cheptel soviétique plomba non seulement sérieusement l'économie des années 1930, mais eut des répercussions séculaires. Pour punir les paysans, l'Etat organise en 1932 une gigantesque famine qui achèvera de saigner la paysannerie, qui est cependant parvenue à mettre en échec les réformes économiques, en rendant totalement inefficace le système. B. Une industrialisation phénoménale mais inégale bouleverse la société Dès 1929 le secteur privé est lapidé au profit du public. Le marché mixte de la NEP est désormais révolu, tous les secteurs industriels sont gérés par l'Etat. [...]
[...] Mais c'est sans doute la volonté mégalomane de Staline qui précipitera la chute des ruraux avec son utopie de l'homme tout puissant. Ainsi, des cultures complètement inadaptées au climat et au sol sont mises sur pied, provoquant des catastrophes économiques, bien sûr, mais surtout humaines. Dans cette lignée et dans le but d'éliminer la ruralité, on veut créer des agrovilles, à savoir transformer les paysans en citadins des champs. Ce délire ne prendra forme que sur le papier mais toute cette ambiance idéologique ne manque pas d'avoir des effets sur le terrain. [...]
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