Le nationalisme constitue le sentiment politique le plus puissant depuis 1789. Il s'agit cependant d'un sentiment contradictoire qui, dans ses racines romantiques, exalte la libération des peuples et le droit à l'auto-détermination. Mais il possède aussi un côté obscur conduisant facilement à l'exclusion de « l'autre ». Dans le cas des États multinationaux, il peut aussi conduire à une volonté d'intégrer une nation minoritaire au sein de la nation majoritaire, ce qui revient encore à l'exclusion de « l'autre » en reniant son particularisme, son identité. Le nationalisme peut aussi mener au désir de fonder un pays « ethniquement pur », absurdité car, comme l'affirme Éric Hobsbawm : « Il n'y a guère plus d'une douzaine d'États ethniquement et linguistiquement homogènes parmi les quelque 170 États du monde, et probablement aucun qui englobe la totalité de la « nation » dont il se réclame. Un tel projet n'est pas seulement indésirable, mais aussi en grande partie autodestructeur. »
Le nationalisme enflamme les passions et propose un projet politique permettant au peuple de se sentir impliqué dans l'élaboration d'un destin commun. Cependant, le chemin suivi dans la formation d'une nation liée à un État peut s'avérer désastreux. Il semble donc pertinent de se demander quels sont les effets, positifs ou dangereux, du nationalisme à l'intérieur d'un État ? Pour cette étude spécifique, il s'agit plus particulièrement d'examiner deux États multinationaux désintégrés suite à l'effondrement du système communiste, c'est-à-dire la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, qui représentent toutefois des exemples concrets des conséquences et des voies différentes que peuvent emprunter les projets nationalistes. Ces deux États multinationaux, créés par le Traité de Versailles, ont prétendu fonder une nation politique « tchécoslovaque » et « yougoslave » mais furent en fait dominés respectivement par les Tchèques et par les Serbes. Dans le cas tchécoslovaque, le divorce fut « à l'amiable » et conduisit à la formation de la Slovaquie et de la République Tchèque tandis que dans le cas yougoslave, l'éclatement fut violent et étalé sur une décennie. L'examen du nationalisme slovaque au sein de la Tchécoslovaquie ainsi que des conséquences du nationalisme serbe en Yougoslavie et de sa prétention à fonder une « Grande Serbie » pourront ainsi faire ressortir les conséquences de la montée du nationalisme sur le développement des ces États multinationaux, dans ce contexte particulier de désintégration de l'Empire soviétique à partir de 1989.
[...] La raison du déchirement de ces deux États multinationaux s'apparente également au discrédit du fédéralisme et du communisme. En effet, une fédération suppose le renforcement de l'État commun par le consentement des groupes intégrés tout en reconnaissant l'identité distincte de ses composantes. Cependant, sous le régime communiste, cet aspect démocratique du fédéralisme fut absent et l'État se contentait de contenir les conflits en renforçant son caractère centralisateur et unitaire, si nécessaire par la répression. Il s'agissait donc de fédération sans fédéralisme. [...]
[...] Suite aux accords de Munich en 1938, qui aboutirent au démantèlement complet de la Tchécoslovaquie et à la proclamation d'indépendance de la Slovaquie en 1939, c'est alors que devint évident à quel point la nation tchécoslovaque de 1918 était une fiction. L'expérience de leur propre État entre 1939 et 1945 fit prendre davantage conscience aux Slovaques de leur identité et constituait un précédent au divorce officiel de 1992[6]. Après la Seconde Guerre mondiale, la République slovaque fut détruite et la Tchécoslovaquie rétablie mais les Tchèques refusèrent de reconnaître aux Slovaques un statut d'égalité constitutionnelle dans l'État commun. [...]
[...] Pourtant, dans cet État multinational, les deux groupes principaux protégèrent constamment leur intérêt national et cela dès la création de la Tchécoslovaquie, au lendemain de la Première Guerre mondiale, jusqu'à sa désintégration le 1er janvier 1993. Après l'Union soviétique et l'ex-Yougoslavie, dont les guerres sanglantes exercèrent sans doute un effet modérateur sur le processus de dissolution de la Tchécoslovaquie, celle-ci cessait à son tour d'exister. Selon l'opinion véhiculée par les politiciens et les médias tchèques, les responsables étaient les Slovaques, qui avaient voulu et obtenu cette destruction, tandis que du côté slovaque, les coupables étaient les Tchèques[2]. [...]
[...] KIRSCHBAUM, Stanislav J. Les racines du nationalisme slovaque moderne Revue canadienne des slavistes, nos. sept-déc pp. 302-319. KURTA, Henryk. Divorce à la slovaque Politique internationale, no pp. 223-231. LIEBICH, André et André RESZLER., dir. L'Europe centrale et ses minorités : vers une solution européenne ? Paris, Presses Universitaires de France p. [...]
[...] Henryk Kurta, Divorce à la slovaque Politique internationale, no p Renéo Lukic, Yougoslavie : Chronique d'une fin annoncée Politique internationale, no p Jacques Rupnik, dir., Le déchirement des nations, Paris, Seuil p Renéo Lukic, loc.cit., p Anton Bebler, Le deuxième effondrement de la Yougoslavie et la fédéralisme p. 103-119, dans André Liebich et André Reszler, dir. L'Europe centrale et ses minorités, Paris, PUF p. Michel Roux, Guerre civile et enjeux territoriaux en Yougoslavie Hérodote, no p. 26-27 Jérôme Filippini, La Tchécoslovaquie et le nationalisme slovaque Hérodote, no p ; Jacques Rupnik, op. cit., p Henryk Kurta, loc. cit., p. [...]
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