« Souviens-toi » ! Quel que soit l'événement, l'injonction renvoie le plus souvent à des mémoires douloureuses et au souci entretenu par les communautés humaines de préserver de l'oubli une souffrance, une identité menacée ou un passé perdu.
Mais le devoir de mémoire n'est pas que l'expression d'une nostalgie ou d'une reconnaissance, adresse plus ou moins passive lancée en direction du passé ! Comme le signifiait Paul Ricœur en le faisant remonter à la tradition judéo-chrétienne, il fait « obligation de rendre justice à un autre que soi par le souvenir, (…et) introduit l'idée de dette et de reconnaissance envers les générations passées et les morts ». Le devoir de Mémoire s'affirme ainsi comme invitation à « rendre justice » au nom d'une dette intergénérationnelle, comme un ordre donné aux nouvelles générations de se remémorer à des fins de réparation. A ce titre, il devient adresse appelant une réaction active en direction du futur et ne tarde pas à se muer en « volontarisme » tendant à « stéréotyper et à sacraliser » le passé. Ce militantisme de la mémoire qui a envahi l'espace public depuis les années 1990 et qui réactualise d'anciennes revendications à coups de reconstructions partisanes de l'histoire, cet activisme que dénoncent les historiens de la mémoire comme Jean-Pierre Rioux – lequel nous interpellait en 2002 sur ce processus par lequel « la société française a cultivé indistinctement la visite passéiste, le vagabondage mémoriel et l'identité en délicatesse, sans convenir que les interrogations les plus fortes et les plus prégnantes venaient du présent. » – cet activisme, donc, n'est pourtant pas sans précédent. Le « devoir de mémoire » d'aujourd'hui nous fait oublier un peu vite qu'un autre temps a pratiqué les mêmes « vagabondages ». A la charnière des 19è et 20è siècles, en France, il a même porté un nom : le « culte du souvenir », lequel s'est traduit, entre autres réalisations, par la création du Souvenir français (1887) et d'associations comme celle des anciens combattants de Gravelotte et de l'armée du Rhin (1888).
[...] Le culte du Souvenir un Devoir de Mémoire au temps de l'affaire Dreyfus Le culte du Souvenir un Devoir de Mémoire au temps de l'affaire Dreyfus La première catégorie historique n'était pas le souvenir mais la promesse. (Hegel) Souviens toi ! Souviens toi ! Quel que soit l'événement, l'injonction renvoie le plus souvent à des mémoires douloureuses et au souci entretenu par les communautés humaines de préserver de l'oubli une souffrance1, une identité menacée ou un passé perdu. Mais le devoir de mémoire n'est pas que l'expression d'une nostalgie ou d'une reconnaissance, adresse plus ou moins passive lancée en direction du passé ! [...]
[...] Il est déclaré aussi bien rusé, intelligent, matois que lâche, étroit d'esprit et incapable. Les contradictions qui apparaissent d'un texte à l'autre sont monnaie courante mais parviennent à ne choquer personne car l'essentiel reste dans l'affirmation d'une glorieuse armée et peu importe l'authenticité du discours tenu sur le faire-valoir ! L'addition des coupables de trahison ainsi relevée permet de passer en revue tous les acteurs du conflit, partis et Français de 1870, réalité historiographique qui prouve, s'il en était encore besoin, combien le devoir d'histoire peut-être victime du culte du souvenir : traîtres sont les Gambetta, Trochu, Mac-Mahon, Bourbaki, les Républicains, socialistes, autant que les bonapartistes et l'empereur, paysans, militaires, communards comme les soldats indisciplinés, les francs-tireurs, les mauvais chrétiens, les étrangers ; Dieu lui-même qui a abandonné la France ! [...]
[...] Roth : La lorraine dans la guerre de 1870. Nancy p.95. Page Roth, Ibid. p.102- Cf. http://www.souvenir-francais.com/beta_in.htm site du Souvenir français Barrès en 1909 Tous ces textes font état d'un souci de préserver le souvenir d'hier en usant de l'artifice romanesque plus accessible au grand public que d'austères essais historiques. Pour les monuments, les sculpteurs sont mobilisés. Les artistes peintres ne sont pas en reste. [...]
[...] Son travail de mémoire se fait explicitement à cette seule fin. Vingt sept ans plus tard, sous la pression des demandes nombreuses il fait réimprimer son texte. Dans un nouvel avant-propos, il confirme ses raisons de 1871, précisant que ses souvenirs étaient alors destinés à mes parents et à mes amis ; c'était pour leur dire seulement ce qui m'était arrivé. Par cette seule note, il suggère déjà que sa démarche de 1899 a d'autres motivations, lesquelles ne tardent pas à apparaître. [...]
[...] En effet, tant que l'avenir n'a pas tranché en faveur d'un Devoir plutôt qu'un autre, toutes les options restent possibles ; et si l'instrumentalisation du passé en faveur de la Revanche a fini par imposer sa dynamique, la pluralité des discours utilisant le souvenir de 1870 à des fins différentes oblige à reconnaître les limites du Devoir de Mémoire dans la mesure où seuls se laisseraient convaincre par ses arguments ceux qui étaient déjà convaincus. Faut-il en déduire le peu d'efficience de ce Devoir ? Celui-ci ne fait-il pas qu'affirmer ce qui est déjà acquis ? Sans doute. Pour autant, les incidences qu'il peut avoir ne saurait être sous-estimées dans la mesure où il existe des hésitants. Tout se joue alors sur la marge que constitue ces derniers, comme avec les indécis d'un scrutin électoral. [...]
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