La pénétration étrangère, au-delà de la finance, des gouvernements et des armées, ce sont aussi des hommes, dont le nombre s'accroît, les terrains d'action s'étendent, les privilèges se développent. Les résidents étrangers en Égypte étaient 3000 en 1826, ils sont 113.000 en 1897 (pour une dizaine de millions d'habitants), et se concentrent dans les villes, Le Caire et surtout Alexandrie: Grecs et Italiens sont les plus nombreux; avec Britanniques et Allemands, ils tiennent le commerce de gros; avec les Juifs, le demi-gros et le détail; Juifs et Européens s'occupent des activités financières. Les étrangers bénéficient de tribunaux "mixtes", en fait régis par le droit et des juges européens; profitant du régime ancestral des "Capitulations" consenties à François Ier, ils ne payent pas l'impôt.
[...] L'Afrique du Nord est touchée par ce nouveau bouillonnement politique, mais de manière de plus en plus atténuée à mesure qu'on va vers l'ouest. L'Égypte ? autre pôle régional de modernisation ? est en évolution rapide. Transformée en protectorat "officiel" en 1914, par rupture de tout lien de vassalité envers l'empire ottoman, voyant simultanément son roi (khédive) destitué par l'occupant pour nationalisme, elle se rassemble en 1919 autour d'un parti national modéré, parlementariste, pro-occidental, bourgeois, le Wafd. Ce dernier devient le pivot de la vie politique après l'accession à l'indépendance (assez formelle, l'armée britannique demeure présente et influente) en 1922. Face à la corruption croissante et au maintien de la pauvreté (l'explosion démographique "mange" les gains réels de l'industrie : 274.000 ouvriers en 1937, une production de ciment passée de 24 000 tonnes en 1917 à 350.000 en 1939), Hassan al-Banna crée en 1928 le premier parti islamiste moderne, les Frères Musulmans. Au travers de l'instauration de la loi musulmane (charia), ce mouvement urbain, influent chez les intellectuels et les commerçants, entend rejeter tant l'influence occidentale (y compris la démocratie et l'idée d'égalité, par exemple entre hommes et femmes) que l'islam traditionnel, empreint de superstitions.
[...] L'Inde anglaise compte en 1911 plusieurs des plus grandes villes de l'empire britannique : Calcutta a 1,7 million d'habitants, Bombay un million, Madras 600 000 habitants. Ces cités portuaires et administratives, devenues récemment de grands centres industriels, recèlent une population largement fluctuante, et plus largement encore née ailleurs : c'est le cas de 53% à 62% des citadins. L'exode rural est nécessaire pour compenser les pertes: le déséquilibre numérique entre sexes (beaucoup d'hommes restent célibataires) et des conditions de vie déplorables font des villes de véritables mouroirs, où les décès l'emportent de loin sur les naissances. (...)
[...] Créer une élite coloniale occidentalisée Il s'agit pour les Britanniques de créer une élite nouvelle, capable de contribuer à des postes subordonnés . à la gestion du Raj. Symboliquement, c'est l'année même de la Mutinerie que les trois premières universités modernes sont ouvertes, dans les trois capitales de l'Inde anglaise (Calcutta, Bombay, Madras) ; on y forme fonctionnaires, journalistes, médecins et avocats, en anglais (qui a remplacé en 1835 le persan idiome natif des Moghols comme langue administrative). Dix-huit mille diplômés en sortiront au total en une trentaine d'années, ce qui est peu en soi pour une colonie de plus de trois cents millions d'habitants, et beaucoup plus que ce que forment à la même époque les autres colonisateurs. [...]
[...] Les seuls Indiens à y vivre sont des domestiques et quelques commerçants; la plus ancienne et la plus prisée est Simla, fondée en 1840 au nord de Delhi, sur les contreforts de l'Himalaya. À l'autre extrême, les "Blancs" sont presque absents de certaines agglomérations: ainsi d'Ahmedabad, ville du textile autochtone (cf. ci-dessus), ou de Bénarès, prestigieux centre religieux et intellectuel. D'autres cités encore, un peu à l'écart des grands axes, loin de la mer, jouissent d'une protection de fait -par le coût du transport- pour leur artisanat, et peuvent prospérer (jusqu'à un certain point) dans un relatif isolement. [...]
[...] Un Lim Boon Keng, diplômé en médecine de l'université d'Édimbourg, converti au christianisme, se consacre sur le tard à la défense des valeurs confucéennes et sera, de 1921 à 1937, recteur de l'université d'Amoy, construite par son ami le millionnaire Tan Kah Kee. Simultanément au nationalisme chinois, grandit une anglicisation de la langue et de la vie quotidienne (cuisine, costume, habitat, loisirs, sport . une occidentalisation des moeurs (recul de la famille large, du mariage arrangé, création de clubs, voyages de plaisir . surtout dans les "nouvelles couches moyennes" (professions libérales, fonction publique . [...]
[...] Sun Yat Sen, alors qu'il dirigeait le Tongmenhui (Ligue jurée) anti-mandchoue, y fait huit voyages afin de recueillir des fonds. C'est là qu'est lancé après 1911 le "mouvement des écoles chinoises", qui entend scolariser la masse des jeunes hua qiao du Nanyang dans un système déconfucianisé et moderniste, annexe de celui mis en place au même moment en Chine; la quasi-totalité des Sino- Singapouriens et en premier lieu les towkay, pour des montants impressionnants versent leur obole pour ce vaste projet qui rencontre en quelque années un plein succès (seulement partiel pour les filles), sans aucune aide des autorités britanniques, et alors que les riches Chinois d'outre-mer construisent aussi écoles et universités dans leurs villes et villages d'origine. [...]
[...] Vers la fin du siècle, un certain effort architectural est cependant accompli, avec des résultats parfois étranges: Bombay reçoit une gare en forme de château- fort, et un peu partout on construit des bâtiments de style mauresque, localement appelé "indo-saracénique". Il est vrai que les Britanniques ont fort peu l'occasion de côtoyer les natives. Les différents quartiers sont en effet à ce point clivés, sur le plan ethnique, qu'ils forment de véritables agglomérations intégrées, géographiquement séparées, et entre lesquelles on peut déployer des troupes. Ainsi la "ville européenne", dans les centres urbains conséquents, a-t-elle sa propre gare. [...]
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