« La violence guerrière ramène toujours à une histoire du corps. A la guerre, ce sont les corps qui se heurtent, qui souffrent, qui infligent la souffrance ». Cette phrase résume à elle seule l'enjeu historiographique de la prise en compte du corps tel qu'il est – vulnérable et a fortiori mortel – pour dresser une histoire de la guerre. Depuis plusieurs années, les historiens de la « brutalisation » (Mosse) et de la « culture de guerre » particulièrement, tentent de comprendre la Première Guerre mondiale à travers les corps. Cette approche s'avère intéressante car elle fournit des éléments de compréhension pour une psychologie de guerre, comprendre comment est vécue la violence au front mais aussi celle, plus latente, à l'arrière, contre les civils.
Il s'agit ici de comprendre en quoi la violence de guerre s'exprime en premier lieu sur les corps ; en quoi l'extrême violence de la Grande guerre a-t-elle façonné les corps par la mort et la souffrance physique mais aussi par la création d'un imaginaire de guerre symbolisé dans les atteintes aux corps ?
Pour répondre, nous commencerons par voir en quoi la Première Guerre fut une guerre des corps, en somme quel fut le degré de « corporalité » des souffrances de guerre, puis nous tenterons de comprendre la création d'un « corps de guerre », un corps symbolique, mutilé, violé, qui traduisait les angoisses nationales, corps de guerre qui survécut à la guerre à travers les cicatrices d'après-guerre, par l'expression physique des névroses et les « gueules cassées ».
[...] En 1914, la mort est devenue mort violente, presque exclusivement, même si le nombre de malades reste très élevé : l'armée française a comptabilisé 5 millions de malades pour les 4 années de guerre, chiffre qui prend en compte, il est vrai, les soldats malades à plusieurs reprises. Au total, la mort de maladie ne tua qu'un sixième des effectifs combattants 2. Les blessés La mort à la guerre a donc changé de forme, mais la blessure également. Dans l'armée française, on a dénombré blessés. La moitié des hommes l'ont été deux fois, plus de trois ou quatre fois ! [...]
[...] D'autres éléments encore pourraient s'ajouter à cette réflexion sur les corps et la guerre : la sexualité (les pratiques de masturbation, d'homosexualité ou de recours massif à la prostitution : les bas-reliefs, en France, sculptés dans la craie des carrières de l'arrière front trahissent bon nombre de ces pratiques) par exemple qui malheureusement demeure encore assez peu étudiée par les historiens Voir S. Audouin-Rouzeau & A. Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard p Voir S. Audouin-Rouzeau & A. Becker, 14-18, retrouver la guerre, Paris, Gallimard chap.1 La violence Voir notamment J. [...]
[...] Une telle poussée d'irrationnel rend très difficile la séparation des faits et de l'imaginaire. D'autre part, les viols de 1914 apparaissent d'abord comme le fruit d'une volonté de démonstration de pouvoir, et même d'humiliation. Ce qui est recherché dans le viol a trait au désir de puissance et d'humiliation maximum de la femme, à travers la négation de son intégrité personnelle. Le viol est l'acte d'un conquérant et les soldats d'août sept 1914 entrant en territoire ennemi sont bien des conquérants. [...]
[...] Delaporte, les pires héritages de la Première Guerre. V. les peintures d'Otto Dix, qui s'attacha dans son œuvre, et plus particulièrement dans la représentation des mutilés de la face, à la description la plus crue des blessures. Trois questions peuvent être évoquées : aux souffrances physiques liées à la reconstruction de l'édifice facial, s'ajoutaient évidemment les épreuves morales présidant à la constitution d'une nouvelle identité du mutilé du visage. le retour au foyer, après leur passage à l'hôpital, très longs et particulièrement douloureux, où ils se retrouvaient isolés, avec une pension dérisoire. [...]
[...] Une fois séparé du corps physique, le soi individualisé était plongé dans l'éternelle et perpétuelle patrie. En luttant contre l'idée de l'anéantissement du soi, les écrivains de guerre ont cherché à transformer la signification même de l'état physique. B. Les empreintes corporelles de la guerre : corps manquants et corps survivants 1. Les âmes traumatisées : cops et névroses de guerre[6] L'histoire des corps dans la guerre nécessite une prise de conscience des névroses de guerre, particulièrement nombreuses et fortes avec la Grande Guerre. [...]
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