"Prison des peuples", "triomphe de la réaction", l'ordre européen issu de l'Acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815 a souvent été durement jugé par la postérité, qui a vu dans l'émergence des nationalités une des grandes victoires du XIXe siècle. Pourtant, durant près de vingt ans, de 1815 à 1830, la politique des Congrès mise en place par les auteurs et acteurs du Congrès de Vienne, a réussi non seulement à sauvegarder la paix mais surtout à assurer une réelle unité de vues au sein du Concert européen, formé des puissances monarchiques continentales que sont l'Autriche, la Russie et la Prusse, mais aussi et surtout du Royaume-Uni, pivot du système. Véritable tentative de régulation des relations internationales, la réunion régulière de Congrès prévue par le traité de Paris (20/11/1815) permettant une délibération collective sur les intérêts généraux de l'Europe fut une innovation essentielle dans l'histoire des relations internationales. Elle permit de cette façon le règlement de différents litiges, ainsi que l'élaboration de stratégies communes aux grandes puissances européennes, face aux soulèvements libéraux et nationalistes qui éclataient sporadiquement sur le continent.
Jusqu'à ces dernières années, les appréciations sur ce sujet étaient très réservées. Pour Pierre Renouvin par exemple, le Concert européen n'était qu'une « nouvelle méthode diplomatique », au moyen de conférences permettant aux hommes d'Etat de se rencontrer directement, mais nullement « une conception nouvelle des relations internationales ». Seuls comptaient en fait, comme dans le passé, les intérêts des grandes puissances, et l'équilibre qui s'établissait entre elles. Quant aux grands changements dans les relations internationales, ils ne découlaient pas tant de la politique des puissances et de leur « concert » que de l'évolution des « forces profondes, matérielles ou spirituelles, qui contribuent à déterminer la politique extérieure des Etats ». On retrouve une vision semblable dans le livre de Kissinger sur le congrès de Vienne : A World Restored : Metternich, Castelereagh, and the Problems of Peace 1812-1822.
Mais depuis peu, une vision nouvelle se fait jour. Il faut citer ici en particulier le livre de Paul Schroeder, The Transformation of European Politics 1763-1848. Pour lui en effet, le Concert européen n'a pas été simplement une nouvelle pratique diplomatique, mais le résultat au tournant des années 1800 « d'une transformation qui prit place d'abord dans le champ des idées, des mentalités collectives et des conceptions…Ce qui se produisit, en dernière analyse, fut une prise de conscience générale des Etats européens du fait qu'ils ne pouvaient plus poursuivre l'ancienne politique et qu'ils devaient essayer quelque chose de nouveau et de différent ». Dans la vision de Schroeder, il ne faut plus décrire ce qui a été une véritable révolution des relations internationales simplement comme « la restauration de l'ordre ancien, un nouvel équilibre, un retour à la stabilité et à la solidarité monarchique, ou même comme une ère de réaction et de répression ».
Entre ces deux conceptions, il s'agira de définir ce que représente le concept de Concert européen et de voir en quoi il se différencie du simple concept d'équilibre, puis d'étudier comment il s'est mis en place dans le cadre des traités de Vienne ainsi que les moyens de sa manifestation et enfin d'étudier de se pencher sur les raisons de son effacement vers 1822/1830.
[...] BIBLIOGRAPHIE _ Pierre RENOUVIN, Histoire des relations internationales, tome V (1815- 1871), Hachette _ Benoît PELLISTRANDI, Les relations internationales de 1800 à 1871, Armand Colin _ Paul W. SCHROEDER, The Transformation of european politics: 1763-1848, Clarendon Press _ Henry KISSINGER, Diplomatie, Fayard _ Henry KISSINGER, Le chemin de la paix, Denoel _ Guillaume de BERTIER de SAUVIGNY, Metternich et son temps, Fayard _ Guillaume de BERTIER de SAUVIGNY, La Sainte Alliance, Armand Colin, 1972. [...]
[...] Le Congrès de Vienne de 1815 en a été l'acte fondateur en même temps que sa première manifestation. L'Histoire n'a retenu du Concert européen que son rôle comme gardien des traités de Vienne et des dispositions territoriales qui y furent décidées. Certes, en se fixant pour but de faire respecter l'équilibre et la paix en Europe, le Concert entendait faire respecter le statu quo territorial décidé à Vienne, avec entre autres buts celui de contrôler la France. Mais le Concert Européen, dans l'esprit de ses initiateurs comme dans la pratique, avait une portée bien plus large. [...]
[...] Tout comptes faits, Metternich préfère voir l'Empire Ottoman conserver son intégrité plutôt qu'avoir le chaos nationaliste aux portes de l'Empire qui risquerait de profiter à la Russie. L'Angleterre, toujours soucieuse d'assurer la liberté et la sécurité des voies maritimes de son commerce, redoutait, à propos de la route d'Orient, l'influence de la Russie en Méditerranée si l'Empire ottoman disparaissait. Finalement, l'intervention en Grèce fut décidée conjointement par l'Angleterre sous pression de son opinion publique et surtout pour pouvoir calmer les ardeurs russes, la Russie et la France. La Grèce devint ainsi indépendante le 30 mai 1827. [...]
[...] Metternich lui-même, malgré son scepticisme et son conservatisme, développait l'idée d'un monde moderne où "la solidarité et l'équilibre" seraient la règle entre les Etats. Le cocher de l'Europe était profondément convaincu que l'ordre européen ne reposait pas uniquement sur l'équilibre mécanique des alliances, mais aussi sur des valeurs (indépendance et solidarité des Etats, principe de réciprocité, respect des traités) et des pratiques politiques et diplomatiques communes. L'aspect associatif de l'exercice de la puissance est donc une notion ancienne. Cette conception nous conduit à établir une distinction fondamentale entre d'une part le Concert européen des puissances, accord volontaire entre plusieurs Etats où l'intérêt de la collectivité est prise en compte, et d'autre part le simple équilibre des puissances, jeu d'alliance opposant les Etats et permettant de préserver leur intérêt national. [...]
[...] Fidèle à la tradition hobbesienne, l'équilibre entre les puissances permet alors aux Etats de consolider leur position ou de combler leurs faiblesses face à des adversaires plus ou moins puissants. Le second sens est moins commun dans les relations internationales mais pourtant tout aussi et de plus en plus essentiel. La conception associative de la puissance ne se limite pas à la seule opposition entre les Etats, mais s'attache au contraire à l'aspect collectif de l'exercice de la souveraineté, en insistant sur leur collaboration et leurs actions communes. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture