Le 18 mars 1962, lorsque les accords d'Evian sont signés, le général de Gaulle entend tourner la « page coloniale » pour promouvoir l'image d'une France nouvelle, leader du Tiers-monde à l'image des discours de Mexico et de Phnom Penh en 1966. Mais quatre décennies plus tard, une loi dite « mémorielle » fait resurgir la question au sein des débats politiques : la loi du 23 février 2005. Si cette loi a été approuvée, il n'en reste pas moins que le président de la République Jacques Chirac a dû désavouer sa majorité -près d'un an plus tard- en abrogeant son article 4.
Ce tournant semble révéler ce qui est longtemps passé sous silence : la France n'est toujours pas réconciliée autour de son passé colonial. Surtout, il tend à montrer que le discours officiel ignore le nouveau visage de la société française, dont plusieurs millions de membres sont issus des colonies et en constituent les traits.
En effet, ces derniers manifestent, par des voies diverses, leur désir de faire reconnaître officiellement leurs mémoires et souffrances oubliées ou ignorées, afin de s'intégrer dans la société. Les mémoires étant multiples, ce phénomène prend l'allure d'une véritable « guerre des mémoires » caractérisée par leur mise en concurrence.
Ainsi, pourquoi cette guerre des mémoires surgit-elle aujourd'hui ? Comment se manifeste-t-elle ? Quelles réactions provoque-t-elle ?
[...] Une société plurielle Comme le rappelle l'historien Pascal Blanchard dans son œuvre majeure De l'indigène à l'immigré, la France a accueilli des immigrés par vagues successives. La particularité des dernières vagues d'immigration réside dans le fait que les immigrés sont massivement venus des colonies. Dans la majorité des cas, venus pour répondre aux besoins en main- d'oeuvre, ils se sont finalement installés en France. Au final, au fur et à mesure des générations, leur volonté d'intégration s'est manifestée par divers recours. [...]
[...] Et ce, au nom de l'universalisme. Ce modèle se retrouve ainsi confronté à des revendications, notamment du fait de l'immigration post-coloniale, de croyance et pratiques qui veulent exister dans l'espace privé (telles que la langue, la religion, etc.). Dans cette mesure, on peut affirmer que le modèle français d'assimilation est obsolète. B. L'Algérie : un passé qui ne passe pas Outre ces données, il faut noter que l'attitude de la France au regard de son passé c'est-à-dire la manière dont elle le prend en compte et l'enseigne a aussi contribué à faire naître ces tensions. [...]
[...] Ainsi, comme le souligne l'historien Benjamin Stora dans La Gangrène et l'oubli, lorsque l'histoire n'est pas unanimement partagée, chacun s'impose en acteur de l'histoire, cherchant à faire reconnaître ses souffrances oubliées voire ignorées. A partir de ce constat, qui concerne essentiellement l'Algérie, mais touche généralement toutes les minorités issues des colonies, l'on peut affirmer que, faute de ne pas intégrer les mémoires de chacun de ces groupes, le modèle historique de la mémoire collective grâce auquel l'État s'appuyait sur la Nation pour faire l'histoire et définir l'identité nationale est concurrencé par des lectures communautaires cherchant la reconnaissance de mémoires multiples. Sachant cela, quelles sont les modalités d'expression de ces revendications ? [...]
[...] Ce qui nous poussons à interroger le rôle de l'État dans ces querelles mémorielles. B. Le rôle de l'Etat Il est à noter que depuis plus de deux décennies, l'État légifère au sujet de la mémoire collective. C'est dans cette perspective que s'inscrivent les lois mémorielles. Parmi celles-ci, les plus importantes sont les suivantes : Loi du 29 janvier 2001 qui reconnaît le génocide arménien commis par les Turcs loi du 21 mai 2001 dite loi Taubira qui reconnaît la traite et l'esclavage comme des crimes contre l'humanité loi du 23 février 2005 qui dispose dans son article 4 que les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord En outre, l'État a également tenté d'apaiser les tensions en multipliant les édifices mémoriaux tels que la Cité Nationale Historique de l'Immigration inaugurée en avril 2007, ou encore la création du Mémorial à l'abolition de l'esclavage à Nantes en 2009. [...]
[...] Cette guerre des mémoires semble être l'expression du décalage entre une société plurielle et un modèle républicain qui peine à s'y adapter. La guerre d'Algérie semble tenir une place centrale dans le phénomène. Pour finir, on peut citer le psychiatre Frantz Fanon qui disait dans l'oeuvre Les damnés de la Terre Je ne suis pas esclave de l'esclavage qui déshumanise nos pères En d'autres termes, le discours républicain doit s'adapter et intégrer les mémoires multiples tout en restant ferme sur le principe d'égalité. [...]
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