Nous allons nous intéresser à la place des ouvriers dans la société française
sur près de cent cinquante ans. Nous avons pris le parti de souligner les particularités de la classe ouvrière aux différentes époques (et non pas des ouvriers
en général). Dès lors, nous serons amenés à faire des choix dans le traitement
de certains faits historiques, privilégiant ceux constitutifs de la classe sociale
particulière qu'est celle des ouvriers. Cette limitation n'est pas anodine. Elle
devrait nous permettre, après avoir dressé un historique des classes ouvrières
au cours des siècles, de nous poser une question très actuelle : existe-t-il encore,
aujourd'hui, une classe ouvrière ? En s'appuyant sur les particularités qui
ont constitué les classes ouvrières au cours du XIXe puis du XXe siècle, nous
essaierons de proposer une réponse à cette question.
Il nous faudra donc nécessairement faire appel à des concepts issus de la sociologie,
tant le concept de classe a été accaparé par cette discipline. L'ouvrage
de Noiriel se situe d'ailleurs au confluent de la sociologie et de l'histoire, en
développant une méthode originale (et relativement récente) : la socio-histoire.
Celle-ci repose sur les principes fondateurs de ces deux sciences humaines et
apparaît ainsi comme ayant une double préoccupation principale :
le rapport entre le passé et le présent. Le monde actuel ne peut se comprendre
qu'en mettant en évidence son historicité. De même, une bonne
connaissance du présent est indispensable à l'historien.
le rapport entre les individus. La socio-histoire envisage les liens sociaux
comme des relations de pouvoir.
Mais avant de parler de classe ouvrière, encore faudrait-il la définir. Comme
le remarque Michel Verret dans Chevilles ouvrières, difficile d'étudier la classe
ouvrière sans la définir , avant d'ajouter : difficile de la définir.
Pour cela, il procède par déconstruction du terme. L'ouvrier se caractérise
d'abord par le fait qu'il travaille, et qu'il travaille un bien particulier : le bien
matériel. De plus, il est socialement obligé de vendre sa force de travail
pour survivre. A la différence des artisans et des indépendants, il ne possède pas
d'autonomie, ou très peu, et n'a pas la maîtrise des conditions de production.
Il s'inscrit dans une double dépendance, à l'égard du marché d'une part, et à
l'égard du l'employeur d'autre part. Dans une perspective marxiste, on pourrait
ajouter qu'une spécifité du travail ouvrier est l'extorsion d'une plus-value issue
du sur-travail. Plus précisément, il s'agit d'une extorsion mesurable (à la
différence des travailleurs dans les services par exemple).
Dès lors, M. Verret nous propose la dénition suivante : classe ouvrière :
ce groupe, qui dans la distribution sociale inégale de l'avoir, du pouvoir, du savoir,
du valoir, s'identifie comme la classe des producteurs salariés d'exécution,
employés par le capital. Si on constate l'absence de mention de la production
spécifique de biens matériels (ce qui le rapproche, semble-t-il, de la
vision de G. Noiriel), nous abandonnerons, quant à nous, l'idée de s'identifier. D'après cette définition en effet, la classe ouvrière n'existe que si, pour reprendre une terminologie marxiste, elle a une conscience pour soi. Sans
doute, cette définition est-elle alors trop restrictive. Pour Louis Chauvel, il existe
des caractéristiques objectives des classes sociales (notamment le fait qu'elles
soient hiérarchisées). Nous accepterons ainsi la définition de M. Verret, tout en
l'élargissant à l'objectivation proposée par L.Chauvel.
[...] La précarisation, si souvent décriée aujourd'hui (comme en témoigne l'ampleur du mouvement anti-CPE), commence à toucher les jeunes ouvriers, qui se voient proposer des contrats à durée déterminée ou des missions d'interim ce que décrit d'ailleurs très bien Robert Linhart dans L'établi Les ouvriers toujours dominés Malgré une tradition de lutte des ouvriers français assez vives depuis la du XIXe , en comparaison des autres pays industrialisés, il faut souligner qu'ils constituent un groupe social largement dominé dans la société française dans tous les domaines se rapportant à la vie professionnelle (accidents du travail, mais aussi interdictions de parler Mais ces inégalités se retrouvent également dans des aspects plus sociaux, comme l'espérance de vie. Elle est en eet moindre que la moyenne (et en particulier celle les cadres). Les ouvriers vont également moins en vacances. [...]
[...] On assiste à une crise des valeurs ouvrières. L'urbanisation hausmanienne (qui chasse les ouvriers du centre-ville) associée à l'abandon de la pluri-activité et de la mobilité, conduit à un véritable déracinement pour les ouvriers. Dès lors, à partir des années 1880 et jusqu'à la veille de la Première Guerre mondiale, une intense mobilisation collective gagne les classes populaires. La crise des valeurs ouvrières a ainsi pu aboutir à une détermination des ouvriers à se réapproprier une forme d'industrialisation dont ils n'avaient pas véritablement voulue. [...]
[...] Le souvenir de luttes héroïques communes (grèves de juin 1936, Résistance . ) contribue à fonder, ou à renforcer, une certaine mémoire collective On assiste également à des rituels de marquage appliqués aux nouveaux-venus dans l'usine. L'appartenance à un syndicat chez les ouvriers devient désormais naturel (en particulier la CGT) et participe à l'enracinement de la classe ouvrière. La prise de conscience, voire la revendication, de cette condition est exacerbée par le PCF qui est, au sortir de la guerre, le premier parti de France. [...]
[...] Elles représentent bien le passage d'un métier de l'industrie (l'ouvrier) à un métier du commerce (la caissière). Pourtant, on retrouve dans ces deux emplois une certaine similitude : pénibilité des conditions de travail, faibles salaires, etc . Néanmoins, ils divergent sur certains points, comme la conscience politique et syndicale (qui était assurément plus élevée chez les ouvriers pendant les Trente Glorieuses). Bien sûr, les caissières d'aujourd'hui ne sont pas les métallos d'hier. La condition ouvrière s'est profondément transformée au cours de ces vingt dernière 9 années notent S. Beaud et M. Pialoux. [...]
[...] Une conséquence directe de ce manque de main d'÷uvre est l'intensication de la mécanisation et l'introduction en France de l'Organisation Scientique du Travail mis au point par l'ingénieur Taylor. L'appel à l'immigration est massif, puisqu'un million d'ouvriers étrangers sont introduits entre 1921 et 1931, avec une constante quasi-indémodable : plus le travail est pénible dans un secteur, plus les étrangers y sont nombreux. Mais c'est également la mémoire ouvrière qui est touchée. Elle est d'autant durement atteinte qu'elle se fonde sur une histoire vécue et non pas sur une histoire apprise. [...]
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