L'obtention du droit de vote pas les femmes britanniques est indéniablement l'un des moments clés de l'histoire du féminisme mondial . Depuis près d'un siècle, les historiens font d'ailleurs la part belle au mouvement pro-suffragiste anglais et à la détermination de celles qui, de 1867 à 1914 , se sont battues pour défendre leurs convictions et pour que l'on accorde le droit de vote aux femmes dans leurs pays. Ce que l'on sait moins, c'est qu'en parallèle du mouvement des féministes et autres « Suffragettes », certaines femmes (pour la majeure partie membres de la classe industrielle montante) défendaient avec autant de ferveur leur propre point de vue, et étaient déterminés à éviter que le femmes n'obtiennent le droit de vote qu même titre que les hommes.
On voit mal, d'un premier abord, quelle justification ces Women Antis, comme on les appelle, pouvaient trouver à leur refus de voir accorder le vote à leurs « consoeurs » . Leur réaction peut en effet paraître illogique puisque, le vote n'étant pas un devoir, accepter les revendications de la majorité des femmes en Grande Bretagne ne les empêchait aucunement de refuser d'utiliser personnellement ce droit par la suite. A vrai dire, ce seul fait nous permet, avant même toute étude poussée et malgré notre surprise de départ, de mieux comprendre les Antis, puisqu'il indique clairement que, pour elles, la question du suffrage féminin en Grande Bretagne (et de ses enjeux) ne se situait pas au niveau de l'individu, mais était, comme nous allons le voir, étroitement liée à leur vision de la société britannique et à la place de la femme dans cette société.
Il s'agira donc dans un premier temps pour nous de définir quelle était, de façon générale, la notion de mission de la femme en Grande Bretagne à l'époque Victorienne. Il nous faudra ensuite essayer de comprendre ce que les féministes reprochaient au rôle qu'on avait attribué aux femmes, afin de pouvoir, par la suite, mieux contraster les arguments des Antis avec les leurs. Pour finir, il faudra voir, en se penchant de plus près sur leurs écrits, quelles étaient les préoccupations des Antis et ce qu'elles considéraient être la mission de la femme, afin de déterminer dans quelle mesure leur vision du rôle de la femme dans la société a influencé leur décision de s'opposer à l'obtention du droit de vote.
Toute étude de la place de la femme dans la société Victorienne a indubitablement pour point de départ la notion de « separate spheres », qui attribue à l'homme et à la femme deux domaines de prédilection distincts. Si cette idéologie des sphères séparées semble devenir incontournable en Grande Bretagne dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle , il est cependant difficile de dater son apparition avec précision. On peut néanmoins comprendre l'importance qu'elle prend au XIXe siècle en considérant ses origines religieuses et sociales.
[...] cit., p Il faut dire que pendant longtemps, l'enseignement destiné aux femmes a principalement pour objectif de faire d'elles de meilleures maîtresses de maison ; chose relativement inutile, puisque les petites filles de l'époque Victorienne aident suffisamment leur mères dans leurs tâches ménagères quotidiennes pour être déjà préparées à leur futurs devoirs domestiques. Voir Joan Perkin, op. cit., p Susie Steinbach, op. cit., p De plus, il est bien évident que, pour les féministes, le droit de vote a un double avantage, puisqu'une fois leur citoyenneté reconnue, il leur serait enfin possible de prendre part aux décisions politiques au niveau national et, ainsi, de réparer elles- mêmes toutes les injustices dont souffrent les femmes voir Susan Kent, op. [...]
[...] Like feminism, it tries to envisage a better society, but one based on tradition or status; it tries to put the brake on change, unless it is a return to family values.[31] Il semble presque impossible de ne pas établir de parallèle entre le mouvement des Antis et cette définition[32], principalement dans la mesure où l'anti-suffragisme des Antis est effectivement le résultat d'une volonté de leur part de résister au changement, et dans la mesure où leurs deux principaux arguments sont que le rôle de la femme dans la société doit être fondamentalement différent de celui de l'homme, et qu'il est nécessaire, pour les femmes comme pour les hommes, d'agir dans le seul intérêt de la nation. En cette fin de XIXe siècle, le changement auquel les Women Antis entendent résister est bien évidemment la disparition de l'idéologie des sphères séparées. [...]
[...] Cette notion d'infériorité est renforcée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle par des études scientifiques qui comparent les organes reproductifs de l'homme et de la femme et mettent en avant le fait que l'homme et la femme sont constitués différemment. A partir de là, la femme commence à être définie par rapport à sa seule fonction biologique, c'est-à-dire en tant que mère[8], et on lui attribue des caractéristiques particulières, foncièrement différentes de celles attribuées à l'homme. Elle est le Sexe Faible plus fragile physiquement et moins développée psychologiquement[9], et doit, par conséquent, continues à être placée sous la protection de l'homme. [...]
[...] Les Antis ne manqueront d'ailleurs pas de mentionner les problèmes de santé dans leurs écrits, surtout par rapport aux enfants. Elizab lynn Linton parlera ainsi de la cuisine comme d'un art the art of keeping in health - et ajoutera même : The care of the young ranks as one of the most important of all things to the State and the race, and one on which no pains bestowed could be too much. Quarante ans plus tard, cette idée sera reprise par Violet Markham, qui dira : Obviously, if the State is to exist at all the bearing and rearing of healthy citizens is one of the most important functions which can exist in that State En d'autres mots, pour les Antis, il ne suffit pas de faire les enfants, il faut aussi veiller personnellement à leur bon développement et ceci implique nécessairement que la femme ne quitte pas la sphère domestique. [...]
[...] Eliza Lynn Linton écrira d'ailleurs : The ordinary woman cannot be got to see that she is not only herself but also a member of society and part of an organization; and that she owes, as a duty to the community, the subordination of her individualism to that organization.[59] D'autre part, le fait que les Antis, comme les Suffragettes d'ailleurs, décident de mettre fin à toute agitation concernant le vote quand commence la Première Guerre Mondiale, ainsi qie le fait que, tant que durera la guerre, les Antis ne contesteront apparemment pas la participation des femmes à l'effort de guerre[60], semblent prouver que pour les Antis, renoncer au vote était bien une question de sacrifice temporaire, et que leur priorité a effectivement toujours été le bien du pays. Peut-être faut-il d'ailleurs voir là la raison pour laquelle les Women Antis ont longtemps été considérées comme des anti-féministes. En effet, même si chercher à déterminer si elles étaient ou non anti- féministes dépasse largement le cadre de cette étude, il semble indéniable que précisément à cause de leur conception di rôle de la femme dans la société les Antis étaient en fait patriotes avant d'être féministes[61], c'est-à-dire britanniques avant d'être femmes. [...]
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