Peindre les campagnes, c'est peindre à la fois les paysages et la population rurale. La peinture des paysages peut montrer ou non les transformations des campagnes et la manière dont elles sont perçues par les artistes.
Le XIX° siècle est progressivement marqué par la valorisation du monde rural par les peintres. Auparavant, le monde rural n'était jamais un sujet de tableau en lui-même : il apparaissait comme un décor mythique ou comme un paysage champêtre, idyllique, de divertissement. L'industrialisation et la croissance des villes provoquent en réaction un attachement aux valeurs terriennes. De là les discours agrariens, les romans paysans, les tableaux à sujets paysans. Le monde rural apparaît comme une garantie de stabilité face aux évolutions.
Les antécédents picturaux des XVII° et XVIII° siècles ont évoqué le paysan au rythme de la représentation des travaux paysans en sculpture, sur des enluminures, dans la peinture hollandaise. Les frères Le Nain, issus d'une famille de vignerons de Bourgogne, ont peint au XVII° siècle une soixantaine de tableaux représentant la vie quotidienne des paysans dans des scènes familières. Mais dans l'ensemble de leur œuvre, les paysans ne sont pas représentés en train de travailler. En effet, ces peintures s'inscrivent dans le goût de la clientèle bourgeoise pour les gueuseries. En outre, à l'exception des Le Nain, les paysans ne figurent jamais au centre des tableaux, et cela jusqu'au milieu du XIX° siècle.
Un tournant s'amorce avec le romantisme en ce qui concerne les paysages. Ce changement est lié à l'évolution du rapport entre l'artiste et la nature. Le XIX° siècle est en effet le siècle de la peinture de paysage au sein duquel prédominent quatre courants majeurs : 1. le néoclassicisme ; 2. l'école de Barbizon ; 3. l'impressionnisme ; 4. la peinture symboliste. Les peintures issues de ces écoles représentent souvent des campagnes inhabitées, alors que le monde rural est un monde plein démographiquement. La trace de l'homme n'est visible que par petites touches : un chemin, un clocher. Le paysan lui-même n'apparaît pas.
Le paysan s'impose comme figure centrale à partir des années 1840, avec l'émergence du courant réaliste dont Millet et Courbet sont les meneurs. Le paysan devient alors sujet de peinture et son identité est de plus en plus liée au travail.
Les évènements de 1848 marquent une rupture durable concernant les critères de représentations et les enjeux socio-économiques des compositions. Les tableaux sont dès lors interprétés comme des peintures politiques qui font des paysans le peuple.
A la fin du XIXe siècle, les peintres naturalistes ont une vision quasi photographique de la vie des campagnes. Il s'agit, à travers leurs peintures, de traduire la réalité du monde des campagnes.
Du côté du public qui reçoit les œuvres et qui appartient essentiellement au monde des villes, il y a deux sortes de réactions. On retrouve d'un côté une admiration se traduisant par des commandes d'Etat. Il s'agit dans ce cas d'une peinture académique, qui correspond à l'idée que la paysannerie est gardienne des valeurs morales. De l'autre côté, on constate des réactions parfois violentes, voire de dégoût. Cela concerne surtout des artistes ayant un parcours plus individuel, comme Courbet et Millet. Ces peintres de par leurs origines paysannes (paysannerie aisée toutefois) provoqueraient l'énervement de certaines élites urbaines en faisant des campagnes le sujet principal de leur peinture. Ils sont également accusés de faire une peinture politique, ce que revendique d'ailleurs Courbet mais pas Millet.
Au final, qu'est-ce que ces peintures disent des campagnes ? Quel y est le rapport entre la réalité et la représentation ? Si leur vision est à la fois exacte et idéalisée, le sens de l'observation y est contrebalancé par la volonté de présenter un univers préservé. Le fait que le paysan devienne sujet de peinture est une forme d'intégration à la nation. Il suscite un intérêt nouveau. On lui reconnaît un rôle fondateur. Le paysan, dans les tableaux, est très lié au travail, un travail présenté comme noble, opposé à celui de l'ouvrier. Ce travail est de plus en plus valorisé du Second Empire à la III° République.
[...] Monet et son Train dans la campagne (1868) ainsi que les représentations de Pontoise par Pissarot. Précisons toutefois que ces toiles traduisent quasi exclusivement la situation des campagnes des environs de Paris Les peintres symbolistes Pour toucher l'essence de leur projet esthétique, on indiquera que leurs toiles transforment la réalité pour proposer une vision intime et personnelle des campagnes. Dans la production symboliste, ce sont souvent des paysages campagnards inhabités qui occupent l'intégralité de l'oeuvre. Par exemple, Van Gogh, après s'être libéré de l'influence de Millet, reprend des thèmes réalistes (champ de blé, sieste de l'après-midi) mais les traite de manière différente en éliminant la figure humaine du paysan Le paysan au travail, entre exactitude et idéalisation Les travaux des champs ou l'exaltation du lien à la terre À partir du milieu du XIX° siècle, c'est l'acte de travail qui définit le paysan dans les tableaux. [...]
[...] Les tableaux sont dès lors interprétés comme des peintures politiques qui font des paysans le peuple. À la fin du XIXe siècle, les peintres naturalistes ont une vision quasi photographique de la vie des campagnes. Il s'agit, à travers leurs peintures, de traduire la réalité du monde des campagnes. Du côté du public qui reçoit les œuvres et qui appartient essentiellement au monde des villes, il y a deux sortes de réactions. On retrouve d'un côté une admiration se traduisant par des commandes d'État. [...]
[...] C'est aussi l'avènement du paysan comme catégorie sociale. À propos des semailles, où acte symbolique par excellence du geste du semeur à la résonance quasi biblique tout en étant symbole de reproduction des valeurs éternelles, c'est certainement Le semeur de Millet (1850) qui s'en fait l'écho le plus direct. Millet est né dans le Cotentin, à Gruchy, en 1814, dans une famille de paysans aisés. Constamment dans son œuvre comme dans ses correspondances, il revendique ses origines paysannes. Comme il fait partie de l'école de Barbizon à partir de 1849, il est contraint de trouver une réponse à une question existentialiste avant l'heure : comment un peintre paysan représente-t-il les sujets paysans ? [...]
[...] Dans sa toile Les casseurs de pierre (1849) Courbet dépeint amèrement les étapes d'un travail difficile physiquement, absurde, répétitif, aliénant. J. Breton, dans Les glaneuses (1854) et ainsi que dans Le rappel des glaneuses (1859) participe de la même veine descriptive. Dans ces deux œuvres, la glaneuse, qui est aussi un personnage misérable, apparaît dans les moments les plus sordides de son métier. Toutefois, chez Breton, le projet et le résultat sont moins radicaux que chez Courbet ; en effet le tableau de Breton exprime toujours une certaine harmonie sociale, sur un sujet qui est pourtant porteur de nombreuses tensions dans le monde rural. [...]
[...] De l'autre côté, on relève l'apparition du paysan dans l'univers pictural jusqu'à devenir le sujet principal de nombreuses compositions. On peut mettre cette apparition en parallèle avec l'irruption du paysan sur la scène politique nationale, quand il devient un acteur politique à part entière avec le suffrage universel. La figure du paysan sort dès lors de l'indifférence. Dans les deux cas, il convient d'insister sur le fait que ces représentations sont souvent celles de la ville, à part quelques peintres d'origine paysanne qui sont nettement minoritaires. [...]
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