« A folle allure, l'Histoire jetait Mazière, non d'une époque dans une autre, mais dans un nouvel âge de l'humanité, une civilisation entièrement différente ». C'est ainsi que Roger Thabault, dans son ouvrage intitulé Mon village (1944), décrit la profonde transformation qui frappa la petite commune française de Mazières-en-Gâtine à la fin du XIXe siècle. En effet, ce village, dans lequel la vie avait suivi, depuis des temps bien antérieurs à la Révolution, le même cours, sans réel bouleversement, ne changea, mais alors radicalement, qu'au cours des dernières décennies du XIXe siècle. Cependant, cette véritable métamorphose, qui entraîna dans le village une rapide et profonde transformation des conditions matérielles, des mentalités, des coutumes ou encore de la conscience politique, ne fut pas propre à Mazière : cette mutation affecta également l'ensemble des régions rurales du continent, autrement dit la totalité des campagnes européennes.
En effet, au cours du XIXe siècle, l'on assiste à l'échelle de l'Europe à un radical changement dans les campagnes : déclins de rites traditionnels, disparition d'usages ancestraux sans que ceux-ci ne soient renouvelés, perte des traditions etc. C'est ainsi, selon Eugen Weber, « toute une mentalité [qui] se mourait ». Mais parallèlement à l'abandon de leurs coutumes, les campagnes, et plus précisément les populations rurales, qui dépassent les seules catégories de ceux qui par leur travail mettent en valeur la terre, sont l'objet d'une fantastique évolution : les paysans s'émancipent, les communautés villageoises sortent de leur isolement et les campagnes du vieux continent connaissent une période de rayonnement qui, pour beaucoup, témoigne de l'évolution positive des sociétés occidentales.
Aussi peut-on s'interroger : Que s'est-il passé dans les villages et les territoires ruraux au cours du XIXe siècle ? Sont-ils en « procès de civilisation » (N. Elias) ? Les coutumes issues du passé et certains archaïsmes survivent-ils dans les campagnes ? Peut-on parler d'une civilisation rurale, entendue non seulement au sens d'un ensemble cohérent de sociétés et de cultures, mais aussi au sens d'une ère de particulière richesse sociale et culturelle des campagnes ? En somme, les campagnes européennes constituent-elles toujours, au XIXe siècle, des réservoirs d'archaïsme ou ont-elles su forger une civilisation rurale ?
Ainsi, il convient de s'intéresser aux campagnes européennes telles qu'elles étaient auparavant et telles qu'elles furent pendant les premières décennies du XIXe siècle, avant de prendre en compte l'apparition de « facteurs de transformation » et de voir que cette apparition eut pour conséquence l'évolution fondamentale de la civilisation rurale qui préexistait.
[...] Ainsi, parmi les principales évolutions sociales qui eurent lieu dans les campagnes au XIXe siècle, la migration de la population et l'évolution des structures sociales eurent un impact considérable. Mais il faut noter que le phénomène le plus déterminant vient de ce qui est le plus extérieur et dont la population rurale européenne subit le coup : l'évolution de la ville. C'est en effet la ville qui, en grandissant, offrit des emplois dans les usines et les bureaux et y appela les enfants des campagnes. [...]
[...] Mais ce phénomène est aussi perceptible à l'ensemble de l'échelle européenne. La modernisation des sociétés européennes vit en effet les grandes villes remplacer les petits villages, l'industrie supplanter l'agriculture et les nouveaux principes du monde contemporain succéder aux fondements socioculturels traditionnels des campagnes européennes que soulignaient les célébrations. L'individualisme, la démocratisation juridique et politique ainsi que la mobilité sociale se substituèrent donc au XIXe siècle, dans les campagnes, à la rigidité des ordres, au culte de la hiérarchie et au respect des traditions. [...]
[...] Le XIXe siècle est en effet le siècle où la volonté d'intégrer les campagnes dans la société, l'économie et la culture nationales devint manifeste. Partout en Europe, l'Etat intervint pour réaliser cet objectif et, relayé par la science, le progrès et les populations urbaines, il fut à l'origine de la création ou de la diffusion d'agents du changement. Parmi ceux-ci, on compte non seulement ceux qui permirent l'ouverture et l'aménagement des paysages ruraux, mais aussi ceux qui facilitèrent l'émancipation des paysans. [...]
[...] Jusqu'à la fin des années 1880, les puces, poux et vermines continuèrent d'abonder et de nombreuses épidémies de fièvre jaune ou de choléra, comme celle qui sévit en Espagne en 1890, ravagèrent les campagnes européennes. Les habitants de celles-ci vivaient dans la peur du médecin, perçu comme messager de mort et dans l'insouciance à l'égard des microbes. Ils se protégeaient mal du froid, et si le milieu du XIXe siècle marqua la fin de la disette et des crises de subsistance, la nourriture quotidienne resta longtemps austère. Ainsi, il est certain qu'au XIXe siècle les préjugés des populations rurales et leurs modes de vie sont très peu éloignés de ceux de leurs ancêtres. [...]
[...] On assista donc, grâce à la diffusion du mode de vie urbain, à un processus de substitution des objets modernes issus de l'industrialisation des sociétés aux objets anciens fournis par l'artisanat rural et à une métamorphose très nette des modes de vie dans les campagnes, et par conséquent à une évolution très sensible de la civilisation rurale. Enfin, le quotidien des populations rurales européennes, vers la fin du XIXe siècle, fut amélioré grâce aux progrès de l'hygiène. En effet, la mise en place des écoles primaires dans les communes favorisa l'éducation des populations, notamment dans le domaine de l'hygiène, et les découvertes scientifiques telles que la découverte des microbes furent diffusées. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture