« Tous les groupes ethniques ont des droits égaux et chaque race a le droit inviolable de maintenir, de cultiver sa nationalité et sa langue». Voici les quelques mots issus de l'article 19 de la Constitution de 1867. Elle fait suite au traité conclu le 8 février 1867 entre l'Autriche et la Hongrie qui donna naissance à la double monarchie. Cet accord permet à l'empereur François-Joseph de préserver l'intégrité du territoire de l'Empire mais l'oblige également à achever la résolution de la question hongroise en prenant réellement en compte les revendications de ce peuple quant à la langue officielle ou à la domination allemande: le traité apparaît donc comme un «compromis». Censé établir un «Empire indivisible», à l'image du couronnement de l'empereur autrichien François-Joseph comme roi de Hongrie, mais aussi une égalité parfaite entre les deux Etats, le traité marque en fait une nouvelle répartition des compétences politiques entre chaque Etat et accorde une réelle place à la Hongrie. Concrètement, il se traduit également par un redessinement des frontières de l'Empire : à l'Autriche sont rattachées la Bohême, la Moravie, la Galicie, la Bucovine, la Slovénie et la Dalmatie de manière à former la Cisleithanie alors que de l'autre côté de la Leitha se forme autour de la Hongrie la Transleithanie avec l'ajout de la Transylvanie, de la Croatie et de la Slavonie. Bien qu'ayant assuré une relative stabilité de l'Empire jusqu'en 1914, assassinat de l'héritier au trône François Ferdinand et début de la Première Guerre mondiale mais aussi année butoir de notre analyse, ce traité a néanmoins réveillé les rivalités et un nationalisme prégnant au sein de l'Empire austro-hongrois. En effet, à une cohabitation impérative entre l'Autriche et la Hongrie, des peuples tels que les Allemands, les Slovaques, les Polonais (en Cisleithanie) ou encore les Magyars, les serbo-croates ou les Roumains (en Transleithanie) se voient dans la nécessité de vivre ensemble. L'empire austro-hongrois constituerait un carcan pour l'émancipation de ces peuples qu'il cloître dans des espaces territoriaux éloignés de la réalité et dont il refrène l'émancipation. Pourtant cette « mosaïque de peuple » a davantage résulté de ralliements volontaires des peuples ou de politique matrimoniale que d'une entreprise de conquête de la part de François-Joseph.
[...] Des deux côtés, les courants nationalistes utilisent tout d'abord la solution du boycott pour se faire entendre et utilise le système parlementaire en mettant en place des stratégies telles que l'obstruction parlementaire. En Autriche, les Tchèques refusent de siéger au Reichsrat exerçant une pression sur le pouvoir dirigeant jusqu'en avec l'obtention d'un Théâtre, d'une Université tchèque ou encore de l'égalité des langues en échange du retour des députés. De l'autre côté de la Leitha, les Roumains boycottent également le parlement hongrois jusqu'en 1905. [...]
[...] Grâce à une gestion commune des affaires étrangères, l'unité de l'Autriche-Hongrie est reconnue à l'étranger même si les revendications nationalistes affectent largement la diplomatie. D'autre part, bien que dispersées, les nations cohabitent à l'instar du ministère des affaires étrangères dont les ministres seront successivement le hongrois Andrassy Burian, le germano- tchèque Czernin ou encore le polonais Goluchowski et les populations se regroupent même lors de parade comme celle du 12 juin 1908 où elles expriment leur sentiment loyaliste envers l'empereur. [...]
[...] La représentation politique des minorités est difficile, car c'est une société paysanne où les populations sont mélangées. De plus, on observe une forte domination magyare au parlement de Budapest où il y a 400 Magyars sur 413 députés. On note cependant l'existence d'une Diète propre aux Croates ( le Sabor) ainsi que d'une délégation de 40 députés. Cette organisation politique est largement favorable aux classes aisées de la société majoritaire dans le corps électoral, mais également dans la sphère politique. [...]
[...] Les nationalités semblent donc être prisonnières du joug d'une nation dominante, qui impose sa culture ou étouffe leurs actions. Ne devrait-on pas alors plutôt parler, non pas d'une, mais de «deux prisons des peuples» que constitueraient les Etats ? Cette domination doit cependant être nuancée, d'une part car les peuples conservent une relative sécurité dans l'Empire, mais également, car le système permet l'expression des peuples. Dans le contexte de monarchie parlementaire établie par Louis-Joseph, l'instrument politique demeure en cette fin de XIXème siècle, un enjeu de taille et un outil qui se révèle de plus en plus important pour l'expression des minorités. [...]
[...] L'oppression de ces dernières sur un ensemble de peuples ravive un nationalisme prégnant qui s'exprime de plus en plus grâce à «l'outil politique». Les nations sont divisées sur leurs revendications, leurs moyens d'action, ce qui les handicape et limite l'efficacité de leurs actions. Le nationalisme demeure en fait limité et emprisonné par le nationalisme lui-même et même lorsqu'une nation obtient gain de cause, la répartition hétérogène des «groupes ethnolinguistiques» en Autriche-Hongrie ne facilite pas la concrétisation d'un Etat (ou même d'un projet d'alliance, de réunion de population). [...]
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